La multiplication des fouilles préventives liées aux grands travaux entamés en Île-de-France (TGV, parkings, autoroutes, immeubles) a permis de mettre au jour de nombreux vestiges révélant certains aspects méconnus, voire inconnus de la vie au Moyen Âge. Aujourd’hui, six musées – à Guiry-en-Vexin, Louvres, Meaux, Provins, Sceaux et Saint-Denis – déclinent l’histoire de leur région, à travers différents thèmes. L’occasion d’évoquer les découvertes et avancées de l’archéologie médiévale, une discipline en développement depuis une vingtaine d’années.
De la vie quotidienne au Moyen Âge, nous savons finalement très peu de choses, nos connaissances se limitant bien souvent aux écrits des clercs et des notables. “Auparavant, les vestiges médiévaux étaient cassés pour accéder aux vestiges gallo-romains, explique Monique Dargery, conservateur en chef du Musée archéologique du Val-d’Oise et commissaire scientifique des six expositions. Puis, il y a eu un intérêt pour les bâtiments médiévaux et ensuite, seulement, pour les objets.” L’archéologie médiévale n’a en effet que vingt-cinq ans : tout a commencé à Saint-Denis, lors de fouilles préventives dans les quartiers environnant la basilique. “Les premiers sondages se sont révélés très fructueux, rappelle David Coxall, archéologue municipal. Le fait d’avoir rasé tout un quartier a laissé à l’archéologie des espaces très importants : treize hectares de terrain.” Les constructions n’étant pas en pierre mais en charpente de bois, les sites médiévaux ne sont identifiables qu’après un grand décapage, c’est-à-dire sur plusieurs milliers de mètres carrés. Ils sont reconnaissables, tout d’abord, par les trous des poteaux opérés dans le sol. En témoignent les photographies aériennes exposées à Saint-Denis, révélant des plans de monastères, comme celui d’Hédouville (Val-d’Oise) apparu dans les blés en 1999. Dans ce cas, comme dans celui de Serris-les-Ruelles (Seine-et-Marne) et Villiers-le-Sec (Val-d’Oise), il s’agit d’habitations désertées et déplacées quelques centaines de mètres plus loin, souvent à cause des grandes campagnes de défrichement des XIIe et XIIIe siècles. Contrairement aux sites mis au jour par l’archéologie urbaine, ils sont plus faciles d’accès puisque rien n’a été construit dessus.
“La Maison de l’archéologie de Saint-Denis est aujourd’hui très connue pour l’importance de son fonds concernant la vie du Moyen Âge. Nous avons effectué un travail de prêteur et de sélection en fonction des thèmes”, explique Nicole Rodrigues, directeur de l’Unité d’archéologie de la ville. De nombreux objets (céramiques, cuir, bois, verre, tissus) provenant du site sont donc allés rejoindre les autres musées participant à l’événement : le bonnet en soie de byssus (fibre de coquillage) du XIVe siècle, la bottine à la poulaine (XVe siècle) pour le Musée de Guiry-en-Vexin ou le jeu de tables en os sculpté (XIIe siècle), pour celui de Louvres.
Faire l’histoire de l’Île-de-France
“Il n’y a pas vraiment eu d’histoire de l’Île-de-France, celle-ci se révélant trop compliquée, trop dispersée. Notre mission a donc été d’essayer de créer cette histoire”, explique Monique Dargery. Les six expositions prennent place dans une vaste série de manifestations, inaugurée en 1985, avec “Gallo-Romains en Île-de-France”, suivie de “l’Île-de-France de Clovis à Hugues Capet” (1992) et “Aspect méconnu de la Renaissance en Île-de-France”. En 2002, le Musée archéologique du Val-d’Oise devrait accueillir une exposition sur les Celtes, élaborée à partir de fouilles récentes. “En seize ans, nous aurons renouvelé l’histoire de l’Île-de-France depuis le Ve siècle jusqu’au XVIe, avec la publication de catalogues très complets pour chacune des manifestations”, commente le conservateur. Elle se félicite également de ce travail réunissant historiens et archéologues “qui étaient jusque-là deux mondes séparés. Les archéologues ne peuvent se passer des sources écrites, qui sont elles-mêmes lacunaires sans le travail des archéologues.”
Si certaines découvertes viennent conforter les historiens, d’autres dévoilent des aspects méconnus de la vie quotidienne au Moyen Âge. Évoqué à travers “Du producteur au consommateur” (Meaux), le site de Commelles (vallée de la Thève) conserve ainsi la cheminée d’un four tuilier du XIIIe siècle, grâce auquel on peut imaginer ceux de toutes la France. Longtemps confondu avec une lanterne des morts, il a pu être exceptionnellement préservé.
“Images de la ville” à Provins, quant à elle, nous enseigne quels étaient les différents systèmes hydrauliques des villes, au travers de pièces comme les bouches en bronze représentant deux têtes de monstres fixés sur les exutoires d’une fontaine : parallèlement aux puits creusés, l’eau était aussi distribuée par des fontaines reposant sur un système de captation à longue distance.
Ce type de manifestation soulève néanmoins quelques difficultés scénographiques puisqu’il s’agit “d’expositions d’histoire, pas de beaux-arts”, indique Monique Dargery, soulignant toutefois la beauté de certaines pièces, comme la crosse de saint Gautier (fin XIIe siècle), présentée à Saint-Denis, sur laquelle des scènes de la vie du Christ sont gravées le long de la canne et l’Annonciation sur le pommeau. Pour Nicole Rodrigues, ces expositions ont aussi pour but de montrer “le potentiel de l’Île-de-France”, car, comme le précise David Coxall, il faut absolument que “les habitants d’Île-de-France comprennent mieux l’histoire du lieu où ils vivent, qu’ils aient un intérêt plus enraciné pour leur ville”.
- DRÔLE DE MOYEN ÂGE, jusqu’au 8 avril, Musée intercommunal d’histoire et d’archéologie, tour Saint-Rieul, rue des deux églises, 95380 Louvres, tél. 01 34 29 03 06, tlj sauf samedi et dimanche, 8h30-12h et 13h30-18h, 17h le vendredi.
- LA VIE DE TOUS LES JOURS, jusqu’au 31 décembre, Musée archéologique du Val-d’Oise, place du Château, 95450 Guiry-en-Vexin, tél. 01 34 67 45 07, tlj sauf mardi, 9h-12h et 13h30-17h30, week-end et jours fériés 10h-12h et 14h-19h.
- DU PRODUCTEUR AU CONSOMMATEUR, jusqu’au 9 mai, Musée Bossuet, palais Épiscopal, 5 place Charles-de-Gaulle, 77100 Meaux, tél. 01 64 34 84 45, tlj sauf mardi, 10h-12h et 14h-18h.
- IMAGES DE LA VILLE, jusqu’au 4 juin, Musée de Provins et du Provinois, 7 rue du Palais, 77160 Provins, tél. 01 64 01 40 19, tlj, 14h-18h, jusqu’à 19h en juillet-août.
- LA VIE DE CHÂTEAU, jusqu’au 4 juin, Musée de l’Île-de-France, domaine de Sceaux, 92330 Sceaux, tél. 01 46 61 06 71, tlj sauf mardi, 10h-18h.
- L’AMOUR DE DIEU, jusqu’au 20 août, Musée d’art et d’histoire, 22 bis rue Gabriel-Péri, 93200 Saint-Denis, tél. 01 42 43 05 10, tlj sauf mardi, 10h-17h jusqu’au 31 mars puis 10h-18h.
Parution : L’Île-de-France médiévale, deux tomes, Paris, Somogy éditions d’art, 2000.
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Les dessous de l’Île-de-France
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Abonnez-vous dès 1 €L’église de Mantes-la-Jolie, ancienne collégiale castrale à l’architecture gothique, fait l’objet d’importantes restaurations depuis plus de dix ans. Le Musée de l’Hôtel-Dieu (à Mantes, tél. 01 34 78 86 60, jusqu’au 31 mai) a décidé de mettre en lumière l’édifice à travers, entre autres, la reconstitution du portail des échevins et la présentation des statues l’accompagnant. D’autres édifices religieux, comme le prieuré Saint-Martin ou le cimetière juif, sont également évoqués par différentes pièces architecturales. Par ailleurs, des manuscrits, plans et céramiques illustrent la vie quotidienne et urbaine de Mantes au Moyen Âge.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°124 du 30 mars 2001, avec le titre suivant : Les dessous de l’Île-de-France