Les débats se sont accentués en 2003 autour de la question de la ratification par la France de la convention Unidroit . Lors du colloque du 28 novembre 2003 à l’Assemblée nationale, le président du SNA a relevé les attentes des professionnels en matière de bases de données et dressé un constat de désaccord sur les fouilles et exportations illicites
Plusieurs demandes de restitution présentées à la France en vertu de la Convention de l’Unesco de 1970 (1) sont en panne. Faute d’instrument civil, les demandeurs sont poliment raccompagnés ou invités à radicaliser leurs demandes en introduisant sans beaucoup d’espoir des plaintes pour vol et recel. Les professionnels, désormais ralliés à la cause de la Convention de l’Unesco, proposent de la mettre en avant pour mieux enterrer la convention Unidroit (2).
« Comment sécuriser le marché de l’art » était le thème du colloque organisé à l’Assemblée nationale le 28 novembre 2003 par le SNA (Syndicat national des antiquaires) à l’initiative du député Pierre Lellouche. À cette occasion, l’OCBC (Office central de lutte contre le trafic des biens culturels) a précisé que plusieurs demandes de restitution de produits de fouille clandestine, formées en application de la Convention de l’Unesco de 1970 dont la France est partie depuis 1997, n’avaient pu aboutir. La France n’a en effet pas cherché à assurer le cadre juridique prévu par la Convention de l’Unesco de 1970, cadre que la convention Unidroit de 1995 est censée assurer.
Après avoir tergiversé pendant plus de dix ans pour enfin déposer en 1997 les instruments de ratification de la Convention de l’Unesco, la France n’a en effet pas pris de mesures d’application, soit par accords bilatéraux, à l’exemple des États-Unis, soit par adoption de textes internes, comme ceux qui ont été mis en place en 1995 pour application de la directive européenne sur la restitution des biens culturels.
La question devait être tranchée par la ratification de la convention Unidroit, dont la France a été signataire en 1995. Mais, après cinq ans de réflexion et l’adoption du texte de ratification par l’Assemblée nationale au début de 2002, la navette est en panne.
En conséquence, les États adhérant à la Convention de l’Unesco qui se tournent vers la France pour réclamer des biens culturels en mains privées se voient opposer la prescription acquisitive de trois ans que le code civil français prévoit au bénéfice des possesseurs de bonne foi. Seule solution pour franchir l’obstacle : intenter des actions au pénal pour vol et recel, de façon à faire tomber la bonne foi. Comme la bonne foi du possesseur est présumée, malgré l’évolution de la jurisprudence qui exige des acquéreurs plus de diligence, les juges sont très réticents à suivre les procédures en suspicion de recel introduites par les États demandeurs. Leurs demandes ne seront accueillies que s’ils peuvent au moins établir un vol – mais la Convention de l’Unesco ne s’applique pas explicitement aux produits de fouilles illicites, à la différence de la convention Unidroit qui les considère comme volés –, ou une sortie illicite et sa date (permettant au moins une action à l’intérieur du délai de prescription de trois ans). Si la date du vol est ignorée (cas le plus fréquent en matière de fouille clandestine), le détenteur du bien se doit de connaître le caractère illicite de sa provenance.
La France, en transmettant les instruments de ratification de la Convention de l’Unesco, les a complétés d’un codicille faisant référence aux seuils de valeur de la directive européenne de restitution, lequel rend parfois les actions encore plus difficiles. Et la douane ne peut suppléer au problème puisque, à la différence des États-Unis, la France n’a passé aucune convention bilatérale avec des États victimes de pillage pour prohiber les importations de biens culturels en provenance de ces États. Comme l’importation de biens culturels est libre en France – à la seule exception, peu réconfortante, due à l’interdiction européenne, des objets irakiens –, il n’est pas possible d’utiliser l’infraction douanière pour pallier les insuffisances du dispositif.
La France étant l’une des inspiratrices et des signataires de la convention Unidroit, qui était dès l’origine conçue comme le prolongement nécessaire de la Convention de l’Unesco, tout repose donc pour elle sur la ratification de cette convention.
Manifestement, le lobbying actif des professionnels français a mis la machine en panne, sans proposer de solution de rechange. Avec un discours qui s’est affirmé lors du colloque tenu à l’Assemblée nationale : mettre en avant la Convention de l’Unesco pour mieux « enterrer la convention Unidroit ».
D’autres États, comme le Royaume-Uni et la Suisse, qui semblaient pourtant beaucoup moins « engagés » que la France dans la défense du patrimoine culturel des pays pauvres, et âpres défenseurs de leurs marchés de l’art respectifs, ont pourtant pris des mesures dont on peut penser qu’elles seront efficaces, compte tenu de leurs traditions juridiques respectives (lire p. 23). Résultats immédiats :
– au plan juridique, la France est en infraction avec ses propres engagements au titre de la Convention de l’Unesco. Alors qu’elle semblait en avance sur cette convention lors de son adoption qui s’était inspirée de certaines pratiques françaises (registre des objets mobiliers, etc.), elle fait désormais figure de mauvais élève de la classe ;
– l’argument du « forum-shopping » (3) mis en avant par le député Olivier de Chazeaux (UMP), selon lequel les transactions se réaliseront dans les pays les moins avancés au plan du droit – en pratique ceux qui n’auront pas ratifié la convention Unidroit –, tient de moins en moins bien en examinant les avancées nationales, bilatérales ou multilatérales de pays comme les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la Suisse, principaux concurrents du marché de l’art français ;
– l’image culturelle de la France, donneuse de leçons universalistes, se teinte d’hypocrisie.
Un symbole : les États-Unis ont transmis en septembre 2003 à l’Unesco, en vue de la 32e session de sa Conférence générale, leur rapport sur les suites données à la Convention de 1970 (l’article 16 de la convention en fait une obligation). Apparemment, la France a oublié d’envoyer le sien… Il est vrai que 24 États seulement sur les 100 parties à la convention Unesco ont adressé leur rapport. Mais la France se considère-t-elle vraiment comme un soixante-seizième de la culture mondiale ? Sans doute, si les États-Unis acceptent de n’en être qu’un vingt-quatrième...
(1) Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites de biens culturels.
(2) Convention sur les biens culturels volés ou illicitement exportés.
(3) Notion propre au droit international privé. La personne qui prend l’initiative d’une action en justice peut être tentée de choisir le tribunal en fonction de la loi qu’il devra appliquer.
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Les biens culturels au Parlement (1)
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°185 du 23 janvier 2004, avec le titre suivant : Les biens culturels au Parlement (1)