S’inscrivant dans le courant de réévaluation de la peinture religieuse des XVIIe et XVIIIe siècles, la création d’une nouvelle salle des Mays au Musée d’Arras permet de sortir des tableaux qui étaient confinés dans les réserves depuis la Révolution. Ces treize toiles de grand format, dont la restauration a été entreprise en 1993, offrent un résumé exceptionnel de cent ans de peinture française.
ARRAS - L’Histoire joue parfois de drôles de tours. Lorsqu’en 1938, le Louvre, cédant à l’insistance de René Huyghe, alors directeur des Musées de France, s’était débarrassé de ces grands tableaux religieux des XVIIe et XVIIIe siècles, nul ne pensait qu’ils pourraient un jour être exposés, tant leur état était déplorable et grand le désintérêt pour cette peinture . Aujourd’hui, ils constituent sans aucun doute un des plus beaux ensembles qui soient, résumant en treize toiles de grand format cent ans de peinture française. Ce dépôt avait été consenti pour compenser les destructions consécutives aux bombardements de 1915 et, en 1963, le musée avait proposé une première présentation de trois de ces œuvres avec d’autres tableaux contemporains.
Mais, outre le coût d’une restauration, le principal obstacle demeurait le manque d’espace. La nouvelle salle des Mays “accueillait auparavant les services fiscaux de la Ville, qui ne devaient déménager qu’en 2005”, explique la conservatrice Annick Notter. “Dans la perspective de ce déménagement, la précédente municipalité avait demandé à un architecte de mener une réflexion sur l’ensemble de l’abbaye Saint-Vaast”. Était alors apparu tout le parti que l’on pouvait tirer de cette galerie longue de cinquante mètres et bénéficiant d’un éclairage zénithal. Créée en 1925, lors de la reconstruction de l’ancienne abbaye, elle avait été utilisée par le musée avant que l’Administration ne l’annexe. “Plutôt que d’attendre 2005, le nouveau maire a renégocié le bail en 1995 pour anticiper la récupération et la remise en état”, permettant dès aujourd’hui au public de découvrir ces chefs-d’œuvre.
Afin de compenser la relative étroitesse de la galerie, l’architecte Olivier Chaslin, lauréat du concours, a ménagé une longue estrade et des banquettes sur l’un des côtés afin que le visiteur bénéficie d’un meilleur point de vue sur les tableaux. Une fenêtre sur deux a également dû être occultée pour permettre l’accrochage. En revanche, l’éclairage zénithal offert par la verrière n’a pu être conservé qu’au terme d’une bataille serrée contre les Monuments historiques, qui souhaitaient refaire une toiture en ardoise comme au XVIIIe siècle. Pour la précédente salle des Mays, ils avaient obtenu gain de cause en 1982. Résultat, une salle lugubre, privée de tout source de lumière extérieure. Cette fois, le bon sens a primé sur une doctrine trop strictement interprétée, et la galerie est tout sauf sinistre, grâce à des cimaises d’un jaune soutenu. À ceux qu’outragerait ce coloris intense, jugé comme une concession à la mode, Annick Notter expliquerait volontiers la difficulté à choisir une couleur s’harmonisant avec des œuvres aux tonalités pour le moins variées.
Une histoire non linéaire
Les tableaux justement, venons-y. Aux trois cartons signés Champaigne et Charles Poerson, pour la Tenture de la Vie de la Vierge à Notre-Dame de Paris, présentés dans l’exposition de 1996, s’ajoutent sept Mays de Notre-Dame par Michel Corneille père et fils, Louis Testelin, Thomas Blanchet, Louis de Boullogne, Joseph Parrocel et Claude Simpol, un carton de Sébastien Bourdon pour Saint-Gervais-Saint-Protais, deux répliques pour Louis XIV des tableaux de Jean-Baptiste Jouvenet destinés à Saint-Martin-des-Champs, et enfin La guérison du paralytique à la piscine probatique de Jean Restout, peint pour le même édifice. L’accrochage chronologique permet de suivre le cours sinueux de la peinture, de Louis XIII à Louis XV, et s’il est une leçon à en retenir, c’est que “l’histoire de l’art n’est jamais linéaire”. Ainsi, “au temps de Le Brun, le Baroque italien restait apprécié”, explique la conservatrice devant Le ravissement de saint Philippe (1663) par Thomas Blanchet, une composition échevelée et flamboyante que n’aurait pas reniée un peintre romain. En 1672, Michel Corneille fils, élève de Le Brun et de Mignard, anticipe sur la victoire de la couleur dans la fameuse querelle qui venait de s’engager, dans les rangs de l’Académie de peinture, entre partisans du dessin et de la couleur : sa Vocation de saint Pierre et saint André s’inscrit dans un paysage dont les teintes chatoyantes évoquent celles de Véronèse. Quant à La prédication de saint Jean-Baptiste (1694) de Joseph Parrocel, rare tableau religieux chez ce peintre de batailles, il entérine le triomphe des coloristes en se teintant d’effets “rembranesques”. Le prêt d’une Adoration des Rois mages de Claude Vignon par le Musée de Roubaix viendra par ailleurs enrichir les collections.
La création de cette nouvelle salle a permis de sortir des réserves plusieurs tableaux, dont certains ne les avaient pas quittées depuis la Révolution. Un May non restauré vu dans les réserves donne une idée du travail accompli ; certaines œuvres comme le Blanchet, entièrement couvert d’un chanci, étaient à peine visibles. Quant aux toiles présentées depuis les années soixante, elles ont dû subir une “dérestauration” en raison de repeints inélégants qui avaient tous viré. Les trois tableaux de Saint-Martin-des-Champs restent en revanche à restaurer, une opération qui se déroulera sous les yeux du public jusqu’en 2001. Et Annick Notter aimerait présenter un May supplémentaire, celui de Bon de Boullogne. Au-delà, les projets ne manquent pas : si le musée récupère une galerie, encore occupée par l’Administration, elle souhaiterait offrir un espace comparable à la grande peinture profane du XVIIIe siècle, dont les réserves conservent quelques beaux exemples. Et changer à nouveau le plomb en or...
Coutume instituée en 1449, l’offrande annuelle faite par les orfèvres parisiens à Notre-Dame de Paris a pris, de 1630 à 1707, la forme d’un tableau “de onze pieds où serait retracé un acte des Apôtres�?. Données au mois de mai, d’où leur nom de Mays, ces toiles étaient accrochées sur les piliers de la nef avant que la place ne vienne à manquer : dès le XVIIe siècle, les chanoines de Notre-Dame en ont fait don à divers édifices religieux. Ainsi, en 1763, il n’y avait que 48 Mays dans la cathédrale. Si 76 tableaux ont été offerts, il n’en resterait plus aujourd’hui que 45, dont 14 à Arras. Nombre d’entre eux ont été remis en place à Notre-Dame dans les années quatre-vingt, et non des moindres (La Hyre, Le Brun, Bourdon, Blanchard...) : une fausse bonne idée, car non seulement les conditions de conservation sont loin d’être optimales, en raison des fortes variations de température et d’hygrométrie, mais les toiles, accrochées dans des chapelles mal éclairées, sont peu visibles.
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Le triomphe de la religion
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°79 du 19 mars 1999, avec le titre suivant : Le triomphe de la religion