Élaboré voilà bientôt dix ans, le système Vidéomuséum (VDM) connaît depuis quelques années un véritable succès. Il a été adopté par plus de 40 institutions diverses : musées, FRAC, fondations. Cette banque de données compile les collections publiques françaises du XXe siècle, et offre un logiciel de gestion interne des œuvres. Cependant, l’exploitation des multiples possibilités de ce système ne va pas sans heurts. Enquête à travers la France.
SAINT-ÉTIENNE (de notre correspondant) - "La vie du musée a été transformée", se félicite Joëlle Musso, responsable du Vidéomuséum au Musée d’art moderne de St-Étienne. Mais si, à St-Étienne, l’ordinateur est "utilisé quotidiennement", il "reste dans une pièce fermée à clé" au musée de Strasbourg. De fait, l’usage effectif des possibilités offertes par le Vidéomuséum est curieusement limité, car l’irruption de l’informatique remet en cause les habitudes de travail.
Des conservateurs bousculés
En effet, au-delà des réticences traditionnellement invoquées à l’égard de l’informatique – argument peu convaincant –, la mise en place de ce système remet en cause le travail des conservateurs : "La diffusion d’informations peut poser des problèmes aux conservateurs, car les achats peuvent être étudiés en détail. Ainsi, lorsqu’ont été informatisées les collections du FNAC, la faible qualité des œuvres achetées au cours des années soixante-dix est apparue au grand jour", explique François Poisay, qui travaille sur le Vidéomuséum du CAPC de Bordeaux.
Par ailleurs, alors que la mémorisation d’un savoir encyclopédique était un des points forts du métier de conservateur, la disponibilité offerte par le Vidéomuséum de connaissances précises et accessibles dévalue cette compétence, autrefois exclusive.
Sylvain Morand, conservateur du département Photo aux Musées de Strasbourg, remet ainsi franchement en question cette évolution : "La mémoire encyclopédique est utile, elle est la base de la culture des conservateurs. Pianoter sur un clavier ne donnera jamais cette culture".
Bernard Ceysson, conservateur à St-Étienne, et président de l’association Vidéomuséum, tempère ces analyses : "Le Vidéomuséum est un auxiliaire de l’érudition, mais il ne s’y substitue pas. Il rend la connaissance mémorisée obsolète ; il ne remplace pas la connaissance intellectuelle des œuvres". Il est clair néanmoins que cet outil est devenu un enjeu au sein du Musée, comme le remarque avec malice Joëlle Musso : "J’ai acquis une place stratégique, parce que tout passe par VDM à un moment ou à un autre. C’est un poste clé, je garde tous les secrets".
Malgré ces "difficultés d’insertion", le Vidéomuséum est considéré par ses utilisateurs comme très performant pour la gestion des collections. Ainsi, Anne-Marie Lebars, au FRAC Bretagne, "saisit les œuvres dès qu’elles sont acquises, et gère les entrées et les sorties uniquement avec ce système". Même enthousiasme à Bordeaux, où "on ne s’embarrasse plus avec la paperasserie. Auparavant, les documents étaient dans des dossiers plus ou moins bien classés, maintenant tout est accessible très rapidement". Tenu à jour correctement, le VDM permet en outre au conservateur de prouver que les œuvres de son établissement sont recherchées, puisqu’il est possible de conserver la mémoire de leurs mouvements.
Monter des expositions et éditer
Mais le Vidéomuséum est aussi une base de données remarquable pour mener d’efficaces recherches documentaires. Dans la mesure où de nombreuses institutions ont des catalogues incomplets, "il est un bon moyen pour faire connaître nos collections", explique Michel Jagot au FRAC Pays-de-la-Loire. De plus, il a "l’avantage, par rapport au papier, d’être exhaustif.
Pour un catalogue, on va toujours avoir tendance à privilégier les œuvres phares. Alors qu’avec VDM, vous pouvez fouiller les collections d’un musée jusque dans ses artistes régionaux. J’y ai découvert de nombreux artistes", remarque Isabelle Gœtzmann, chargée du VDM au Musée de Nice.
Par ailleurs, de nombreux professionnels qui ne sont pas équipés du Vidéomuséum viennent à la pêche aux informations : "À Nice, on est un lieu de relais pour informer les conservateurs des musées des alentours", souligne Isabelle Gœtzmann. Outre la consultation professionnelle, VDM est parfois accessible au public, comme au Centre Pompidou ou au FRAC Bretagne, où les étudiants en art contemporain de Rennes viennent y puiser une documentation.
Le Vidéomuséum est désormais largement mis à contribution pour le montage d’expositions. Ainsi, le FRAC Pays-de-la-Loire, qui organisait une exposition autour d’artistes canadiens utilisant un médium cinématographique, n’a eu qu’à sélectionner les critères de nationalité et de matériaux pour faire apparaître la liste des œuvres concernées. On est bien loin des fiches amassées méthodiquement par les commissaires traditionnels. Généralement, le VDM est utilisé "comme une première étape", précise Bernard Ceysson, car "il ne faudrait pas monter une exposition en l’utilisant exclusivement, faute de quoi on se couperait des nombreuses œuvres disponibles hors des collections publiques, chez les collectionneurs privés notamment".
Enfin, les données du Vidéomuséum servent à l’édition. Converties dans un logiciel de traitement de texte, elles sont alors immédiatement disponibles, et l’imprimeur n’a plus qu’à faire la mise en page. Le Musée de peinture et de sculpture de Grenoble a réalisé ainsi le catalogue de ses collections ; le catalogue de la donation Robelin à St-Étienne a également pu être édité en un temps record.
Pas d’uniformisation
Par contre, le Vidéomuséum n’a pas modifié les pratiques d’achat, bien qu’il fournisse une vue d’ensemble du patrimoine des institutions publiques. Flavine Faupin, conservateur à Villeneuve-d’Ascq, explique que les "achats dépendent de notre collection, de ses manques et points forts, et non de l’état du patrimoine national", position que l’ensemble de ses collègues interrogés défendent farouchement. Le VDM ne provoque donc pas une uniformisation des achats, et la notion de collection propre à chaque musée devrait perdurer.
Plus de 100 000 œuvres numérisées sur un vidéodisque ! Devenu la cheville ouvrière des musées d’aujourd’hui, le Vidéomuséum est composé de deux éléments distincts. D’une part, un logiciel de gestion pour les collections dont le programme, extrêmement détaillé, enregistre et suit chaque œuvre : caractéristiques techniques, mention des prêts, mémoire des expositions auxquelles elles participent, existence de photographies, restaurations éventuelles, ainsi que des informations plus confidentielles comme la valeur d’assurance ou le prix d’achat.
D’autre part, une base de données nationale, qui permet de visualiser l’ensemble des œuvres saisies. À ces images sont associées des précisions sur leur auteur, les matériaux employés, la date de réalisation, etc. Cette base autorise des recherches multicritères.
L’association Vidéomuséum à Paris centralise les informations qui lui sont transmises par ses adhérents, et édite chaque année un nouveau disque. Les adhérents versent une cotisation annuelle calculée au prorata de l’importance de leur collection. Il en coûte ainsi environ 30 000 francs pour une collection de 1 000 œuvres, somme qui couvre l’intégralité des frais de formation et de maintenance du système. L’acquisition du matériel de lecture revient, à l’heure actuelle, à 70 000 francs.
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Le succès du Vidéomuséum : plus de 100 000 œuvres numérisées
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°14 du 1 mai 1995, avec le titre suivant : Le succès du Vidéomuséum : plus de 100 000 œuvres numérisées