Le Musée Guimet va exhumer les vestiges d’une civilisation méconnue de l’antique Thaïlande parmi les plus importantes de l’Asie du Sud-Est.
BANGKOK, NAKHON PATHOM, CHIANG MAI, LAMPHUN - Certains clichés, tenaces en Occident, voudraient réduire la culture thaïlandaise à cet art tardif surchargé dont le style clinquant frôle parfois le kitsch. À l’opposé de ces attributs, l’ancienne civilisation Dvâravatî a livré des vestiges d’un rare raffinement : quelques temples (souvent reconstruits), de rares sites et des statues éparpillées dans les musées thaïlandais. Soit très peu d’éléments et beaucoup de mystères. Mentionné par quelques rares inscriptions sur des pièces de monnaie ou éléments architecturaux, le terme même de « Dvâravatî » demeure flou puisqu’il désigne à la fois une période historique (du VIe au XIIIe siècle), une zone géographique (la Thaïlande centrale et une petite partie du Nord-Est), un royaume – voire des royaumes, dont on ignore l’identité des dirigeants. Il n’en fallait pas plus à Pierre Baptiste et Thierry Zéphir, respectivement conservateur et ingénieur d’études au Musée Guimet, à Paris, pour partir sur les traces de cette nébuleuse Dvâravatî, dans le cadre de leurs études sur l’indianisation de l’Asie du Sud-Est – un thème qui les a déjà conduits de l’Inde au Cambodge et au Vietnam. Bangkok possède encore quelques vestiges de temples Dvâravatî, mais souvent enfouis sous les constructions modernes, à l’instar du Wat Arun (temple de l’Aurore), entièrement recouvert de bris de porcelaine. L’épopée commence à Nakhon Pathom (non loin de Bangkok). Probable capitale du royaume Dvâravatî, ce site, dont le soubassement du temple et ses terrasses ont été conservés, daterait des alentours du VIIe siècle. Dans les années 1930-1940, les archéologues y ont exhumé des éléments spectaculaires : des panneaux de stucs sculptés en ronde bosse qui ornaient la base du monastère. Exposés aujourd’hui au musée, ces décors, jadis polychromes, reprennent les grands thèmes bouddhiques. D’autres temples thaïlandais, tel U Thong – qui dispute à Nakhon Pathom le titre de « capitale Dvâravatî » –, ont livré des vestiges en stuc ou terres cuites similaires. Mais des temples Dvâravatî eux-mêmes, il reste si peu de chose que Thierry Zéphir n’hésite pas à parler d’une « architecture sinistrée » dont l’étude relève d’une véritable gageure. Pourtant, poursuit le scientifique, « l’architecture Dvâravatî était très ambitieuse, aussi exceptionnelle que celle de l’Inde ancienne ». Les vestiges de Nakhon Pathom en donnent néanmoins les principes : une superstructure en bois recouverte de brique, la brique étant elle-même décorée d’éléments en stuc – autant de matériaux périssables n’ayant pu résister au temps. Fondée sur une forme carrée, la construction procédait d’une succession d’étages progressivement réduits et prolongés probablement d’un stûpa (élément d’architecture bouddhiste), telle une pyramide à degrés particulièrement élancée. Il s’agissait le plus souvent d’une architecture pleine, dans laquelle on ne pénètre pas. Des temples plus récents, dans le nord-est du Vietnam, offrent une image moins lacunaire de cette architecture, comme le temple d’Haripunchai, à Lamphun. Haripunchai (XIIe-XIIIe siècle) est le dernier avatar de cet art Môn (peuples de Thaïlande) qui a hérité des traditions de Dvâravatî tout en témoignant d’une esthétique nouvelle. Le Wat Chedi Chet Yot (XVe siècle) en est aussi un bel exemple, avec ses éléments inspirés des concepts Dvâravatî, mais associés à une iconographie spécifique (de grandes divinités mais pas de Bouddha) et une formule classique du temple avec un sanctuaire à l’intérieur.
Seule la statuaire – à laquelle le Musée Guimet consacrera une exposition à partir du mois de février – permet réellement de construire un discours esthétique. « L’originalité de l’art dvâravatî, c’est qu’il s’agit d’un art bouddhique qui émane de l’art indien », note Pierre Baptiste. Il révèle les liens étroits qui unirent le territoire de l’actuelle Thaïlande avec le monde indien et l’ensemble de l’Asie centrale où les sociétés se livraient à des échanges maritimes et terrestres. Des petites sculptures et tablettes fabriquées en Inde essaimaient ainsi toute la région, et ce dès les Ve et VIe siècles. Retrouvées sur l’ensemble des sites, les roues de la Loi sculptées en grès sont l’une des particularités de Dvâravatî. Pouvant atteindre jusqu’à un mètre cinquante de diamètre, ces grandes roues stylisées symbolisant les lois de Bouddha étaient sculptées sur les deux faces. Elles prenaient place sur des piliers figurant, en général, un élément du lotus et se voyaient greffer un élément sculpté supplémentaire. Bien que singulières, elles ne sont pas sans rappeler les roues en bas relief apparues en Inde au IIIe siècle avant notre ère et dans l’Asie du Sud-Est quelques siècles plus tard. Quant aux majestueux Bouddhas qui seront exposés à Guimet, il est difficile d’en proposer une datation précise. Il s’agit de figures intemporelles dont les vêtements et les traits demeurent inchangés, dépourvus d’éléments, donc, autorisant une interprétation chronologique. Les spécialistes se sont résignés à classer les œuvres de l’art Dvâravatî par typologie (Bouddha assis, debout…). Seule la découverte de nouveaux éléments historiques pourrait combler le trou béant dans l’histoire de ce royaume d’une antique Thaïlande en pleine mutation.
La civilisation Dvâravatî décline avec l’expansion de l’Empire khmer, au XIe siècle, sauf dans les zones du nord de l’actuelle Thaïlande où elle perdure jusqu’à la conquête de Haripunchai par le roi Mengrai, fondateur de la ville de Chiang Mai, à la fin du XIIIe siècle. Le début d’une autre histoire avec l’art de Sukhotaï…
Dvâravatî : aux sources du bouddhisme en Thaïlande, du 11 février au 25 mai 2009, Musée national des arts asiatiques-Guimet, 6, pl. d’Iéna, 75116 Paris, tél. 01.56.52.53.00, www.museeguimet.fr
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Le royaume disparu de Dvâravatî
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°293 du 12 décembre 2008, avec le titre suivant : Le royaume disparu de Dvâravatî