OSTENDE / BELGIQUE
Le musée, en peine d’identité, s’est installé dans le bâtiment d’un ancien grand magasin, un édifice moderniste qui met désormais en valeur une collection exceptionnelle d’art belge de 1880 à aujourd’hui.
C’est le genre d’anecdote cocasse que l’on ne rencontre qu’en Belgique. À Ostende, célèbre station balnéaire au nord du plat pays, la place principale du centre historique abrite le Palais des fêtes et de la culture. Un bâtiment inratable avec sa haute tour, qui hébergeait autrefois le Musée municipal des beaux-arts avant de se reconvertir en centre commercial. Rien d’extraordinaire, me direz-vous. Certes, mais là où l’histoire prend un tour singulier c’est qu’à quelques pâtés de maisons, dans le quartier moderne construit après la Seconde Guerre mondiale, ledit musée a trouvé un nouvel écrin dans le bâtiment emblématique du « Coo », c’est-à-dire l’incontournable galerie marchande des années 1950.
Le site n’a pas été choisi par hasard pour donner un nouvel élan populaire à l’établissement, la Ville ayant en effet porté son dévolu sur un édifice moderniste qui fait pleinement partie du paysage urbain et du quotidien des Ostendais. En 1948, Gaston Eysselinck, fameux architecte local ayant également dessiné la poste, se voit confier un chantier monumental : concevoir un grand magasin et le siège de la Société économique d’Ostende. La S.E.O constitue alors la plus grande coopérative jamais créée en Flandre occidentale ; un détail qui explique la démesure de ce bâtiment de 14 000 m2 et sa fière allure conférée par une immense façade en verre !
Pendant trois décennies, des milliers de familles viendront y acheter de la nourriture, du charbon, des meubles ou encore de la vaisselle, des jouets et de l’électroménager. Véritable institution, cette coopérative, surnommée affectueusement le Coo, a également fait vivre des centaines de magasiniers, de livreurs, sans oublier les souriantes « mamzel » qui tenaient la caisse et approvisionnaient consciencieusement les rayons. En 1981, cette aventure a pris fin avec la faillite de l’entreprise. Il était cependant impensable que ce lieu si cher aux Ostendais et emblématique de l’optimisme d’après-guerre fermât définitivement ses portes.
C’est finalement la culture qui sera sa planche de salut quand le destin de ce site désormais sans fonction croise le chemin d’un musée sans toit. Après avoir tenté de poser ses pénates à Bruges puis à Ypres, le Musée provincial d’art moderne élit en effet domicile dans l’ancien magasin en 1986. Les étals cèdent alors la place aux cimaises, sans gommer toutefois l’histoire du site, car quelques objets jadis vendus entre ces murs et du mobilier qui structurait les anciens corners témoignent encore de ce passé. La greffe prend rapidement et les institutions renforcent cette nouvelle vocation culturelle en installant également, au cours des années 2000, les collections du Musée municipal des beaux-arts d’Ostende. Cette fusion renforce la collection mais pose aussi la délicate question de l’identité de ce nouvel équipement composite baptisé Mu.ZEE, d’après un jeu de mots portant sur les termes musée et zee (la mer en flamand). Pendant plusieurs années, le musée va ainsi se chercher. Se perdre aussi parfois. Faute d’un positionnement clair, l’établissement va flirter avec la tentation du centre d’art et multiplier les expositions sans fil conducteur. Pour faire cohabiter des propositions disparates, le bâtiment va hélas faire les frais de ce manque de cohérence. Au fil des ans, le bel édifice moderniste devient progressivement illisible, ses vastes plateaux ayant été cloisonnés à outrance par d’innombrables cabinets et ses lumineuses fenêtres occultées. Un véritable labyrinthe que le chantier qui vient de s’achever s’est ingénié à démanteler pour rendre au lieu ses qualités architecturales, mais aussi de la cohérence et de la clarté. Ces travaux sont en effet la traduction d’un autre chantier, intellectuel celui-ci, qui a planché sur le positionnement du Mu.ZEE.
Pour trouver sa place dans le riche paysage des institutions belges, l’établissement a logiquement misé sur une collection unique, jusqu’ici étrangement trop peu valorisée au profit de présentations davantage axées sur l’événementiel. Le Mu.ZEE a en effet la chance de conserver une collection sans équivalent puisqu’elle est la seule à pouvoir offrir un panorama presque complet de l’art belge de 1880 à nos jours. Le musée conserve ainsi quelque 8 000 œuvres signées Magritte, Permeke, Wouters, Servranckx ou encore Creten et Vantongerloo. Mais les vedettes sont sans conteste les enfants du pays : Spilliaert et Ensor. Les deux peintres natifs d’Ostende sont en effet particulièrement bien représentés dans le fonds du musée et, de surcroît, par des pièces majeures. Symboliquement, ce sont d’ailleurs leurs autoportraits qui ouvrent désormais le nouveau parcours de visite, qui s’apparente à une agréable promenade à la découverte de la création belge. Une balade que l’on peut compléter par une immersion détonante dans l’univers inclassable d’Ensor grâce à la visite de sa maison, à quelques encablures de là. Dépaysement garanti !
L’un des enjeux de la récente rénovation du Mu.ZEE a été la mise en application d’une économie vertueuse et circulaire. La nouvelle scénographie a ainsi été totalement aménagée à partir de matériaux existants, dans un souci de développement durable. L’établissement souhaite d’ailleurs se positionner au cœur des débats de société actuels, notamment par le choix des artistes exposés entre ses murs. L’exposition de rentrée, consacrée à Maarten Vanden Eynde, s’inscrit totalement dans cette nouvelle programmation. Depuis vingt ans, l’artiste belge pointe en effet les liens entre le modèle de croissance économique de notre société et le déclin annoncé de la planète. L’artiste explore l’anthropocène et décrypte l’impact écologique de ses contemporains sur les générations futures. Il nous projette dans un avenir lointain et méconnaissable et propose une archéologie des vestiges de ce futur plausible et apocalyptique tout en proposant un regard rétrospectif sur le mythe du progrès. L’exposition met en exergue le rôle de médiateur que peuvent encore jouer l’œuvre et l’artiste face à ce déclin.
Isabelle Manca-Kunert
Mu.ZEE, Romestraat 11, Ostende, Belgique. Du mardi au dimanche de 10 h à 17 h 30, tarifs de 1 à 12 €, jusqu’au 16 janvier, www.muzee.be
Outre sa riche collection de peintres ostendais, le Mu.ZEE peut également se targuer de conserver de nombreuses pièces maîtresses d’artistes belges modernes et contemporains, ainsi que quelques pépites, à l’instar de ce tableau de jeunesse de René Magritte. Réalisé avant sa vocation surréaliste, Le Forgeron montre les tâtonnements du peintre tout juste sorti de l’Académie et son adhésion à l’esthétique cubo-futuriste. Ce tableau chamarré est l’un des rares témoignages de sa tentation abstraite.
Léon Spilliaert, "Vertige"
L’immense symboliste belge savait mieux que personne convoquer l’inquiétante étrangeté. Peintre noctambule, il a capté l’ambiance fin de siècle des paysages de sa cité natale, mais aussi la solitude de ses contemporains et l’angoisse existentielle dans des compositions d’une modernité sidérante. Le Mu.ZEE conserve quelques-unes des œuvres maîtresses de Léon Spilliaert, dont ce saisissant dessin qui frappe par sa puissance graphique, son économie de moyens et sa dimension terriblement poétique.
James Ensor, "Autoportrait"
L’une des œuvres les plus iconiques du Mu.ZEE est paradoxalement un tableau atypique dans la carrière d’Ensor. On est en effet bien loin de l’univers caustique et grimaçant caractéristique de la production du peintre né à Ostende. Avec ce chapeau coloré, fleuri et emplumé, il revendique sa posture d’original et d’artiste bohème. Le peintre semble avoir été très attaché à cet accessoire puisqu’il l’a conservé jusqu’à la fin de sa vie ; il est d’ailleurs toujours visible dans sa maison-musée.
Johan Creten,"Le Cheval de Troie"
Artiste phare de la scène contemporaine belge, Johan Creten a grandement participé à rendre à la céramique ses lettres de noblesse. Dès les années 1980, alors qu’il pâtissait de nombreux préjugés, le sculpteur revendique une utilisation innovante de ce médium et réhabilite ce matériau avec des œuvres allégoriques, lyriques et mystérieuses. Son étrange Vénus s’inscrit autant dans l’univers onirique surréaliste que dans la tradition du pastillage emblématique de l’art décoratif du XVIIIe français.
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Le Mu.ZEE d’Ostende
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°746 du 1 septembre 2021, avec le titre suivant : Le Mu.ZEE d’Ostende