Au cours de l’été, un député républicain de Richmond, en Virginie, a proposé une loi qui supprimerait le soutien du Congrès américain aux Palestiniens, tant que les autorités islamiques continueront d’excaver et de construire sur le mont du Temple à Jérusalem. Lieu symbolique par excellence, ce site de 18 hectares est considéré comme une terre sacrée par les juifs, les musulmans et les chrétiens.
NEW YORK (de notre correspondant) - “Lorsque je me suis rendu en Israël au mois de juillet, j’ai rencontré des archéologues israéliens qui m’ont prouvé qu’il y avait sur le site du matériel antique recouvert par les travaux de construction. Plus je comprenais la situation, plus j’étais révolté.” Ainsi commence l’exposé d’Eric Cantor, membre de la commission des Relations internationales de la Chambre des représentants. En effet, ce dernier, désormais soutenu par 34 républicains et démocrates, a proposé en juillet un projet de loi visant à mettre un terme au soutien financier du Congrès aux Palestiniens sauf si le président américain est en mesure de certifier chaque année “qu’aucune excavation n’est entreprise en Israël sur le mont du Temple”. En termes farouchement pro-israéliens, son texte accuse l’Autorité palestinienne de menacer de “destruction toutes les preuves historiques de l’activité juive au Temple”, mais aussi de “compromettre le désir des Américains de comprendre et de promouvoir leur patrimoine judéo-chrétien”. En 2000, le Congrès avait voté une aide de 400 millions de dollars sur trois ans pour les Palestiniens, tandis qu’Israël reçoit chaque année à peu près 3 milliards de dollars d’aide économique et financière des États-Unis. “Pour parler simplement, l’argent des contribuables ne devrait pas servir à la profanation du patrimoine juif”, ajoute Eric Cantor. Symbolique des identités israélienne et palestinienne, le mont du Temple, ou comme l’appellent les musulmans, Haram al-Sharif (le “sanctuaire noble”), est un lieu chargé d’histoire. Sur cet espace qui accueillait jadis le premier puis le deuxième Temple juif, s’élève désormais, à l’ouest, le mur des Lamentations, le lieu le plus sain du judaïsme. Les musulmans, quant à eux, vénèrent le mont qui porte le Dôme du Rocher, ainsi que la mosquée al-Aqsa, depuis laquelle Mahomet, accompagné de l’archange Gabriel, effectua le voyage de la nuit de la Destinée vers le Trône divin. Pour les chrétiens, le mont est le site où Jésus a parlé, où il a souffert les tentations du diable et a chassé les marchands du Temple. En d’autres termes, “c’est l’ancienne Acropole, c’est le berceau de la civilisation occidentale”, résume Gabriel Barkay, professeur d’archéologie à l’université Bar-Ilan de Tel-Aviv. Selon Nazmi al-Jubeh, professeur d’histoire de l’Islam et d’archéologie à l’université Bir-Zeit de Ramallah, en Cisjordanie, “les gens qui venaient prier à al-Aqsa étaient si nombreux que le Waqf [l’organisation religieuse islamique qui administre le site depuis le XVe siècle] voulait restaurer les sous-sols de la mosquée. La mosquée haute a une capacité d’accueil de 10 000 personnes, le sous-sol offre un espace pouvant accueillir 15 à 20 000 fidèles”.
Des travaux pour “la plus grande mosquée d’Israël”
Ainsi, le Waqf a commencé, en 1999, la construction de deux issues de secours, a entrepris d’autres transformations structurelles pour la nouvelle mosquée, et aurait creusé un trou de quelque 5 000 m2 d’envergure et de 10 m de profondeur. “Le Waqf a présenté son projet aux autorités israéliennes et le gouvernement a accordé un permis de construire”, ajoute Nazmi al-Jubeh. Mais ces travaux de construction ont provoqué la colère de certains Israéliens. “Le Waqf n’a jamais précisé quelle serait l’ampleur des excavations et voilà que soudain, nous nous retrouvons avec la plus grande mosquée d’Israël !”, raconte Eilat Mazar, professeur d’archéologie à l’Université hébraïque de Jérusalem et directeur de la Commission contre la destruction des pièces antiques sur le site du Temple – une organisation privée qui réunit archéologues, écrivains et hommes politiques, dont l’actuel maire de Jérusalem et ses prédécesseurs. Ce qui inquiète surtout Eliat Mazar, ce sont les fragments archéologiques découverts dans les tonnes de terre extraites du Mont par le Waqf et déversées ailleurs, notamment dans la proche vallée du Cédron. Même si les rapports sont sommaires et sujets à polémique, ce matériel archéologique contiendrait divers fragments, depuis des tessons de céramiques du premier Temple, jusqu’à une bague en argent de croisé, mais aussi des pavés et les briques d’une mosquée du XVIe siècle. “C’est scandaleux, c’est une violation des lois archéologiques, une masse incroyable de pièces à valeur archéologique est endommagée et l’information est perdue. À quoi nous servirait de tamiser la terre déposée dans la vallée du Cédron ? Quand vous trouvez votre enfant mort sur le pas de votre porte, c’est déjà trop tard”, ajoute Gabriel Barkay, non sans colère. Cette tension est aggravée par le fait qu’après la visite d’Ariel Sharon sur les lieux l’an dernier, le Waqf a interdit l’accès de la zone aux Israéliens et à la plupart des étrangers, y compris aux journalistes.
Irrités, les membres de la commission s’étonnent de la réaction de leur gouvernement qui, pour l’instant, s’est refusé à prendre parti contre le Waqf, malgré un décret de 1993 émanant de la Cour Suprême et stipulant que les travaux d’excavation entrepris par le Waqf constituaient une violation de plusieurs lois israéliennes. “Nous entendons comme une litanie : ‘ce sera la Troisième Guerre mondiale’ si nous essayons de contrer le Waqf”, déplore Eliat Mazar. Quant aux Palestiniens, ils défendent avec ardeur leur organisation religieuse : “Le Waqf ne fait rien de plus que des travaux d’excavation classiques, rétorque Hamdan Taha, directeur du département des Antiquités palestiniennes. Nous aussi, nous nous sentons concernés par les vestiges archéologiques et c’est pour cela que nous avons envoyé quelqu’un surveiller discrètement le Waqf, et nous n’avons trouvé aucune preuve de dégradations.” Ainsi, les objets présents dans la vallée du Cédron proviennent de la destruction causée par un violent tremblement de terre qui a frappé la région en 1927, et non pas des travaux actuels du Waqf, insiste Nazmi al-Jubeh : “Par ailleurs, il suffit qu’on creuse n’importe où à Jérusalem pour trouver du matériel archéologique.” Jon Seligman, archéologue responsable du secteur de Jérusalem pour le service des Antiquités israéliennes, ne tient pas le même discours : “Les dégâts sont considérables ; l’excavation traverse des strates archéologiques de prime importance pour le Temple. Le Waqf a agi sans réfléchir, avec incompétence, sans désir réel de mettre au jour des connaissances, mais, je ne pense pas que c’était par malveillance.”
“La paix finira bien par arriver”
En ce qui concerne l’importance des vestiges archéologiques, Jon Seligman estime que “certaines des plaintes émanant des Israéliens sont exagérées. Toute destruction d’objets est malheureuse, bien sûr, mais de mon point de vue, les informations recueillies à l’aide de tout ce qui a été découvert jusqu’à présent sont plutôt fragiles.” Il remarque que “20 à 30 % du matériel sont des vestiges juifs, le reste date des périodes byzantine et islamique”. L’échec du projet de loi satisferait au moins un politique israélien qui, s’indigne Eric Cantor, remue encore davantage les eaux déjà troubles du Moyen-Orient. “Toute cette histoire est absurde. Elle transforme un problème politique en conflit historique et religieux, a déclaré Yael Dayan, membre d’un parti de gauche à la Knesset et fille de Moshe Dayan. Cela ne regarde personne hors d’Israël, et devrait encore moins faire l’objet d’un projet de loi étranger. Nous finirons par trouver un arrangement avec les Palestiniens. La paix finira bien par arriver.”
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Le mont de la discorde
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°135 du 26 octobre 2001, avec le titre suivant : Le mont de la discorde