L’adoption en première lecture par l’Assemblée nationale du projet de loi d’encouragement au mécénat, dans le cadre du dispositif d’ensemble présenté en décembre 2002 par le Premier ministre et le ministre de la Culture et de la Communication, est encourageante. Son volet fiscal réellement incitatif manifeste une décrispation de Bercy par rapport à la culture et confirme la perception plus consensuelle du patrimoine, qui avait déjà inspiré les débats fiscaux de la loi musée. Le texte, examiné par le Sénat le 13 mai, devrait être définitivement adopté prochainement.
PARIS - Les textes fiscaux sont rarement réjouissants à commenter. Même lorsqu’ils contiennent de bonnes nouvelles, leur sécheresse technique décourage le commentaire. En outre, on se demande toujours ce que l’administration fiscale va inventer pour en limiter la portée, voire en interdire de fait l’application.
Mais le dernier projet fiscal de la loi d’encouragement au mécénat semble à la fois plus limpide et plus cohérent que les précédents. Il tente de couvrir tous les champs de l’initiative privée d’intérêt général, du patrimoine à la solidarité et à l’éducation ; il appréhende la plupart de ses acteurs, de l’entreprise aux particuliers ; il intéresse l’essentiel des formes juridiques de l’action, des associations aux fondations et aux sociétés. Il s’attache enfin à raccorder anciens et nouveaux dispositifs, ce qui donne à l’ensemble une cohérence inhabituelle dans les sédimentations fiscales à la française, et une impression rafraîchissante après une année qui semblait plutôt marquée par des politiques de déconstruction. Le dispositif (lire ci-dessous) doit sans doute cette cohérence à une évolution des mentalités activée par les vicissitudes passées.
Public-privé : ouvrir le jeu
D’abord, le projet de loi concrétise la prise de conscience que le tout État n’est plus la réponse exclusive à la défense de l’exception culturelle. Dans le domaine du patrimoine, la réflexion s’était conclue en janvier 2002 avec l’adoption des dispositions fiscales encourageant fortement les contributions privées à l’acquisition des trésors nationaux. Le plus remarquable alors concernait l’effort fiscal, mais également l’apparition d’une implication “public-privé” concertée, puisque la loi musée codifiait un effort financier commun de l’État et des entreprises dans le texte même où elle acceptait que le label “musée de France” puisse bénéficier à des collections publiques ou privées. C’était pourtant avant les élections présidentielles et législatives.
Les circonstances inclinaient de longue date à cette évolution. Après l’arrêt “Van Gogh” en juillet 1994 et la confirmation par la Cour de cassation en 1996 d’une condamnation de l’État à verser une lourde indemnité, en contrepartie du classement d’office d’une œuvre pour en interdire l’exportation, le dispositif réglementaire français de protection des trésors nationaux était enfermé dans l’alternative : achat par l’État ou autorisation de sortie. Bercy en avait été fort marri et l’affaire avait sans doute alimenté son “comportement punitif” à l’égard de la Culture, souligné par Jacques Rigaud (1) dans son rapport en octobre 1996 sur une refondation de la politique culturelle. Mais le traumatisme a sans doute contribué à enclencher une réflexion. Ainsi, en novembre 1999, dans une réponse à la question d’un parlementaire s’inquiétant des conséquences de l’affaire Van Gogh, le ministère des Finances exposait : “L’État n’a [...] pas vocation à acquérir la totalité des trésors nationaux, pas plus qu’il ne doit en être l’unique financeur [...] ; le délai de trois ans à l’issue duquel tombe l’interdiction d’exporter un trésor national peut être mis à profit par l’État pour encourager la mobilisation d’autres financeurs.” (rep. min. JO Sénat, 11 nov. 1999).
En juillet 2000 avait été amendée la loi de 1992 sur l’organisation du certificat de circulation : une procédure d’expertise contradictoire pour déterminer la valeur d’acquisition des biens classés y introduisait la référence au prix du marché international. Il s’agissait de rechercher la synthèse entre l’intérêt public, qui justifie le classement, et l’intérêt privé, qui suppose une indemnisation équitable. La démarche serait restée platonique sans moyens financiers d’acquisition, et classique, voire précaire, si elle ne s’était traduite que par une augmentation des crédits d’acquisition. Dans ce sens, la loi musée innovait opinément.
Le sénateur Yann Gaillard (UMP), un des promoteurs du volet fiscal de la loi musée, mis au point dans un climat consensuel, mettait en avant que le renoncement à une recette fiscale n’est pas de même nature que l’allocation d’une ligne budgétaire ou d’une subvention publique d’un même montant. Selon que l’on choisit l’une ou l’autre voie, on encourage ou non une responsabilité partagée de la chose publique. Dans une logique de désarmement fiscal, le manque à gagner semble plus vertueux que la sédimentation des mesures votées.
Il est significatif que cette réflexion émane d’un élu qui est également inspecteur des finances, et il est utile de noter que, lors des travaux préparatoires de la loi musée, le dialogue du Parlement avec Bercy s’était instauré en particulier avec Guillaume Cerutti, également inspecteur des finances et, depuis l’installation de Jean-Jacques Aillagon Rue de Valois, directeur du cabinet de ce dernier. Effet de réseau ou intérêt nouveau des énarques financiers pour la chose culturelle ? Peut-être s’agit-il d’un “renvoi d’ascenseur” de Bercy au ministre de la Culture, qui ne s’est pas accroché à la promesse de “sanctuarisation” de son budget pour lui préférer une gestion plus efficace de l’engagement des dépenses.
Ce qui semble être une réconciliation des ministères des Finances et de la Culture a sans doute été plus facile sur l’oreiller du mécénat et des fondations, et ce, pour cause d’élargissement de la culture à l’ensemble des actions d’intérêt général. Dans ce sens, l’ouverture est judicieuse, car elle évite de placer le renoncement fiscal uniquement sur les terrains d’action du ministère de la Culture, et qu’un jour Bercy ne rétorque : on a déjà donné. Les motivations du projet, placées sous le signe de l’incitation à l’initiative, sont également habiles, puisqu’elles ne le situent pas comme un transfert de l’action publique vers le privé, qui aurait prêté le flan à la critique d’abandon de service public ou de “privatisation rampante”. L’encouragement est donné à l’initiative privée de s’investir dans des territoires encore vierges (ou presque). C’est clairement le cas dans les mesures prises en faveur des fondations et associations reconnues d’utilité publique et des fondations d’entreprises, qui font quantitativement piètre figure par rapport à leurs homologues européennes et anglo-saxonnes. Dans ce domaine, l’inclusion de mesures qualitatives, comme la simplification des procédures de création et de reconnaissance des fondations, évite également de cantonner le dispositif aux seules réductions d’impôts.
Un pari sur les mentalités
Hors du champ budgétaire, la loi amorce également une mutation. La puissance publique (l’État et, dans une moindre mesure, les collectivités territoriales) n’est plus seule à pouvoir incarner l’intérêt général. L’État se contraint donc lui-même – et ses administrations – à ne plus soupçonner les initiatives privées d’occultes arrières-pensées. Il est difficile d’anticiper les effets d’un tel dispositif. Il faut lui reconnaître le mérite de la clarté et d’une cohérence assez peu fréquente en matière fiscale. Ceci en cherchant à couvrir l’ensemble des œuvres d’intérêt collectif plutôt qu’en recourant à la fragmentation “catégorielle”, en simplifiant et en alignant les incitations données aux particuliers et aux entreprises, enfin en cherchant à déminer le chemin des donateurs. Le risque couru est le corollaire de l’initiative. Ce qui partira d’abord, c’est le train des incitations fiscales ; si leur utilisation se résumait à un “effet d’aubaine”, on pourrait considérer qu’il n’a pas atteint son but. Reste malgré tout que le mouvement législatif amorcé en 1987 avec la première loi d’encouragement au mécénat devrait y trouver sa pleine cohérence. Au-delà, c’est affaire de mentalités. Mais si les ministères autrefois antagonistes donnent l’exemple...
(1) Ancien président de l’Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial), ancien directeur de cabinet du ministre de la Culture Jacques Duhamel.
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Le mécénat réconcilie Bercy et la Rue de Valois
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°172 du 30 mai 2003, avec le titre suivant : Le mécénat réconcilie Bercy et la Rue de Valois