Château

Le jardin du siècle

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 7 juillet 2006 - 717 mots

Le château de Villandry, dans le Val de Loire, célèbre le centenaire de la résurrection de son jardin. En 1906, l’Espagnol Joachim Carvallo, son propriétaire, avait lancé sa restauration dans le goût de la Renaissance.

Qui aurait pu soupçonner que sous un parc à l’anglaise sommeillait un jardin Renaissance ? Un être à l’œil singulièrement aiguisé, à l’intuition hors normes et dont la foi déplace non pas les montagnes mais un sacré bout de terrain : l’Espagnol Joachim Carvallo (1869-1936). C’est cet homme qui, il y a cent ans, a décidé de faire ce que le visiteur découvre aujourd’hui du domaine de Villandry : un château évidemment, le dernier construit dans cette région du Val de Loire très prisée des rois de France, mais surtout un jardin splendide, l’un des premiers à avoir été classé monument historique, en 1934. Le chantier fut monumental : cinq hectares à démanteler puis à remodeler totalement, comme si la parcelle changeait littéralement de costume, troquant son habit romantique enfilé au XIXe siècle pour passer un vêtement plus strict. Une tenue qui, selon Carvallo, conviendrait davantage à la facture du château, lui-même de style Renaissance – il a été édifié entre 1532 et 1536 par Jean Le Breton, ministre des Finances sous François Ier.

Sous la pente douce de l’ancien parc à l’anglaise, des murs à demi enterrés témoignent du plan d’origine du jardin : une succession de trois terrasses. Joachim Carvallo les ressuscitera entièrement. Du haut du donjon du château, on peut les voir distinctement. Il y a d’abord, orienté au couchant, le potager, qui symbolise la dimension corporelle, puis, un degré au-dessus, les jardins d’ornements, qui figurent les « jeux de l’esprit » ; enfin, au niveau le plus haut, la pièce d’eau, le « lieu de l’âme », point de jonction entre la terre et le ciel. Deux ouvrages ont, semble-t-il, guidé Joachim Carvallo dans sa réflexion : un livre du XVIe siècle, Les Plus Excellents Bastiments de France, de Jacques Androuet du Cerceau, qui présente des plans et des vues en perspective de trente palais et châteaux majeurs édifiés ou en projet à l’époque, et le Monasticum Gallicanum (1694), qui rassemble les plans des abbayes bénédictines avec leurs jardins. Bref, quoique d’inspiration Renaissance, le jardin idéal de Carvallo est bel et bien une complète re-création. Acheté en 1906, l’ensemble verra sa restauration achevée vers 1924.

Depuis le donjon
D’aucuns voient en Villandry un jardin « à la française ». Quelques indices peuvent, certes, le laisser supposer, comme ces alignements de tilleuls – il y en a en tout 1 260 – ou ces calligraphies de buis sculptés au cordeau – mis bout à bout, ils représenteraient une longueur de 52 kilomètres. Or il suffit de déambuler dans les allées pour comprendre que ce n’est pas du tout le cas. De grandes perspectives, voire des percées sur le paysage, il n’y en a point. Jamais ou presque, le regard n’est véritablement dirigé. Blotti à l’est contre un coteau et à l’ouest contre l’abside d’une église romane, le lieu fonctionne davantage comme le jardins clos médiéval : une suite de tableaux léchés avec de-ci de-là quelques surprises, tels un jardin de simples ou l’indispensable labyrinthe, charmant dédale de charmes.

Pour mieux comprendre les subtilités de Villandry, mieux vaut encore grimper une nouvelle fois en haut du donjon. On pourra alors y surprendre les couleurs étonnantes des 250 000 plants de fleurs et de légumes. Décrypter le sens caché de ces hiéroglyphes végétaux gravés dans les trois jardins d’ornement. Les croix de Malte, du Pays basque et du Languedoc dans le « salon des croix ». Les métronomes, les lyres et les notes dans le « salon de musique ». Ou encore, les loups (amour tendre), les papillons (amour volage), les cœurs en tourbillon (amour passion) et les lames de poignard (amour tragique) dans le « salon d’amour ». Savants lacis de lignes droites et de courbes, ces salons inspirés de l’art hispano-mauresque ont été imaginés par l’artiste sévillan Lozano. S’y dressent aussi, en des points stratégiques, quelques ifs altiers et tranquilles, n’étaient les jardiniers minutieux qui leur taillent régulièrement des topiaires.

Château de Villandry

37150 Villandry, tél. 02 47 50 02 09, www.chateauvillandry.com, château : jusqu’au 31 août, tlj 9h-18h30, jardins : jusqu’au 31 août, tlj 9h-19h30 (ensuite, se renseigner).

Jardins centenaires

À l’occasion du 100e anniversaire de la création des jardins, le domaine de Villandry, ouvert toute l’année, organise plusieurs manifestations. Les 7 et 8 juillet, pendant les « Nuits des mille feux », quelque 2 000 bougies illuminent à la nuit tombée les jardins. Jusqu’au 12 novembre, dans les salles du château, l’exposition « 1906-2006, Joachim Carvallo et son œuvre » raconte en détail la restauration du domaine et présente une sélection de pièces de la collection d’art ancien espagnol de Joachim Carvallo, lequel était aussi un grand amateur d’art.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°241 du 7 juillet 2006, avec le titre suivant : Le jardin du siècle

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