Le musée londonien consacré à la chirurgie a rouvert son parcours permanent, faisant preuve d’un effort sur la médiation afin de traiter l’exposition des restes humains avec des égards.
Londres. Comment de nos jours exposer des restes humains ? Voilà une question éthique à laquelle s’est attelé le Hunterian Museum durant cinq ans : de 2017 au printemps 2023, ce musée consacré à la chirurgie a engagé une refonte totale de son parcours, pour un montant de 4,6 millions de livres sterling [5,2 M€]. Inaugurée en mai dernier, l’exposition permanente donne des clefs de compréhension sur la création de cette collection de spécimens – animaux et humains – réunis par le chirurgien John Hunter (1728-1793), puis agrandie par le Royal College of Surgeon.
Les nouvelles orientations de ce musée veulent éviter la visite pour « jouer à se faire peur », qui faisait la réputation des lieux dans les guides touristiques. « S’il y a une chose que j’ai comprise, c’est que notre métier n’est pas d’encadrer les réactions du public », explique Bruce Simpson, conservateur en chef du musée. En revanche, le musée peut travailler son discours pour que cette approche voyeuriste – qui existera toujours – s’estompe devant ses vitrines.
Le cœur du nouveau parcours est constitué de la collection de spécimens rassemblée par John Hunter : 3 000 flacons transparents contenant des organes de toutes les espèces animales, humain y compris, afin de décrire le fonctionnement sain de chaque organe, mais aussi ses dysfonctionnements. L’impact visuel de cet amas de tissus organiques est saisissant. Afin de faire de ces vitrines un peu plus qu’un moment de sentiment étrange, les équipes du musée et le scénographe, Casson Mann, ont accolé à chacun des 3 000 spécimens un petit cartel en métal, dans un effort de concision et de clarté.
Le nouveau Hunterian Museum s’attarde également sur les conditions de constitution de cette collection, alors que la curiosité scientifique prenait le pas sur toute considération éthique. Les différentes facettes de John Hunter sont traitées : de l’homme « pragmatique » faisant avancer la chirurgie grâce à l’observation, au scientifique sans scrupule sur la provenance de ses spécimens humains. « Au XVIIIe siècle, la chirurgie se spécialise et a besoin de corps. Les exécutés forment la source principale de ce trafic de corps, qui devient rapidement une industrie », retrace Bruce Simpson.
Dès l’entrée, un texte fait émerger une problématique : « Le musée contient des milliers de spécimens de restes humains, rassemblés avant que les standards modernes du consentement soient établis. Nous reconnaissons notre dette envers ces personnes – nommés et anonymes – qui, dans leur vie comme dans la mort, ont contribué au progrès du savoir médical. » Dépersonnalisés au XVIIIe siècle, ces contributeurs « non consentants » ont fait l’objet d’un programme de recherche durant les travaux : « Nous présentons aujourd’hui autant d’informations que possible sur ces personnes », explique le conservateur. Mais les informations sont rares, et seules quelques dizaines d’individus ont retrouvé un nom dans le parcours permanent.
Parmi eux, Charles Byrne, mieux connu par son surnom de « Géant irlandais ». Pour obtenir le squelette de cet homme anormalement grand, décédé en 1783 à l’âge de 22 ans, Hunter soudoie l’un de ses amis afin qu’il dérobe le cadavre de Byrne dans son cercueil, avant ses funérailles. Peu avant la réouverture du musée, des chercheurs ont trouvé les souhaits, bien documentés, de Charles Byrne : ce dernier voulait avoir pour dernière demeure la mer… Si la directrice du musée considérait que le mal causé à la fin du XVIIIe siècle ne pouvait être réparé par une décision de 2023, le conseil d’administration du musée a, lui, tranché en demandant le retrait des restes de Charles Byrne des vitrines d’exposition.
Fin octobre, l’écrivaine Nadifa Mohamed découvre l’existence d’un cadavre de nourrisson mort-né dans les collections du Hunterian, durant ses recherches sur les zoos humains. Cet enfant était celui d’une femme du peuple Bambuti (dans l’actuelle République démocratique du Congo), déplacée en Angleterre dans le cadre d’un « zoo humain » colonial. Toujours sur la liste des éléments pouvant être examinés pour des recherches médicales, le nourrisson en a été retiré par le musée peu après cette découverte.
Avec cette réouverture, le musée londonien a fait des questions éthiques un enjeu central. Fin 2023, il engagera un cycle de conférences et d’ateliers, les « Hunterian Provocations », ayant pour thèmes la décolonisation, les restitutions et l’éthique de l’exposition. Sans se soustraire à ces interrogations, le musée a jusqu’ici laissé l’initiative aux chercheurs et à la société civile sur certains cas brûlants. Avec ces « Provocations », il a l’occasion de prendre les devants.
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Le Hunterian Museum dépoussière sa collection d’anatomie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°620 du 3 novembre 2023, avec le titre suivant : Le Hunterian Museum dépoussière sa collection d’anatomie