Une fois par mois, nous invitons un conservateur à choisir une œuvre de son musée qu’il souhaite mettre en avant et faire mieux connaître du public. Philippe Bata, conservateur des Musées de Poitiers, a sélectionné Ophélia de Léopold Burthe (1823-1860).
L’Ophélia de Léopold Burthe (1823-1860) est l’une des œuvres les plus représentatives des Musées de Poitiers, ensemble riche et significatif qui constitue la seule collection classée en région Poitou-Charentes. Dans cet ensemble, le Musée Sainte-Croix présente l’art des XIXe et XXe siècles, où se distingue l’œuvre de Léopold Burthe, artiste rare, dont Poitiers conserve la part de la production la plus importante.
D’origine créole, comme Chassériau dont on sait qu’il fut de ses amis, Léopold Burthe est né à la Nouvelle-Orléans, au sein d’une famille de planteurs. Installé à Paris entre 1826 et 1830, sous la protection de sa sœur Marguerite Foucher de Circé, à laquelle les Musées de Poitiers doivent le legs de quatre toiles de l’artiste, Léopold Burthe entra en 1840 dans l’atelier d’Amaury-Duval qui le forma à l’École ingresque. Amaury-Duval fut l’élève le plus fidèle du grand Ingres et il contribua activement à diffuser la leçon du maître par ce que Bruno Foucart a défini comme “l’ingrisme maîtrisé”. Atteint d’une maladie incurable, Burthe s’éteignit en 1860, au terme d’une courte carrière – il exposa au Salon de 1844 à 1859 – qui en a fait l’un des meilleurs représentants du courant nazaréen français, illustré notamment par Orsel et Jamot.
L’Ophélia de Léopold Burthe met en scène, après celle de son ami et aussi disciple d’Ingres, Henri Lehmann, le passage du drame de Shakespeare où la jeune fille se retient une dernière fois à une branche avant de sombrer dans les eaux noires : “[...] Ses vêtements se déployant autour d’elle l’ont quelques temps soutenue sur les flots comme une sirène, et alors elle s’est mise à chanter des fragments de vieux airs comme si elle n’eût pas le sentiment du danger qu’elle courait, ou comme si elle fut née dans cet élément...” (Hamlet, acte IV, scène VII).
Du drame déjà traité par les coloristes romantiques, Delacroix et Chassériau, Léopold Burthe a brossé une version très abstraite, au charme très ornemental inspiré du primitivisme recherché que les nazaréens français puisaient comme leurs aînés d’outre-Rhin dans l’art de Fra Angelico et de Raphaël.
Très différente des “Ophélia” contemporaines des préraphaélites anglais – en particulier de Millais – celle de Burthe se présente telle une figure fantomatique au modelé fondu, sur un paysage à la précision méticuleuse décorative et irréelle. La mise en page très simple, la ligne épurée mais élégante, la facture lisse, la lumière froide et le pinceau très fluide participent de ce style abstrait d’un ingrisme conceptuel produit et enseigné par le maître de Burthe, Amaury-Duval. Ophélia, que “la gelée semble avoir surprise dans sa pose horizontale”, comme la décrit le critique du Salon de 1858, Fétu, est une des œuvres les plus emblématiques de l’artiste. Burthe parvient ici entre l’atticisme du courant néogrec et le linéarisme préraphaélite, issus de l’art d’Ingres, à créer une œuvre puissante et originale, où s’annoncent certains des caractères de détachement et de style que montreront dix ans plus tard les précurseurs du Symbolisme, Gustave Moreau et Puvis de Chavannes.
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Le choix du conservateur : Philippe Bata
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°111 du 22 septembre 2000, avec le titre suivant : Le choix du conservateur : Philippe Bata