Une fois par mois, nous invitons un conservateur à choisir une œuvre de son musée qu’il souhaite mettre en avant et faire mieux connaître du public. Gilles Grandjean, conservateur du Musée de la céramique de Rouen, a sélectionné La Collation des mandarins, plateau en faïence des environs de 1725.
Le Musée de la céramique est installé depuis 1984 dans l’hôtel d’Hocqueville, construit en 1657 et redécoré au XVIIIe siècle. La collection compte environ 6 000 céramiques, du simple carreau aux bustes monumentaux, les deux tiers d’origine rouennaise. Un développement historique et esthétique complet y est proposé au visiteur en commençant par la première production faïencière exécutée par Masséot Abaquesne, au milieu du XVIe siècle ; puis la seconde renaît grâce à Edme Poterat à partir de 1647, elle s’épanouit au siècle suivant, et disparaît au début du XIXe siècle.
Les premiers “décors chinois” apparaissent à Rouen vers 1680, en même temps que le camaïeu de bleu, inaugurant un style nouveau étroitement lié à la porcelaine extrême-orientale dont les importations massives génèrent des profits considérables. Rouen suit alors la tendance générale de la faïence européenne et plus particulièrement celles de Delft et de Nevers, centres avec lesquels les échanges de main-d’œuvre, et par conséquent d’influence, sont importants.
Au début du XVIIIe siècle, des peintres, Watteau le premier, donnent de la Chine la vision d’un monde irréel “délicieusement absurde, sans poids et sans volume”. Ces nouveaux décors connus sous l’appellation générique de chinoiseries, rencontrèrent un succès rapide et durable grâce aux ornemanistes qui les adaptèrent à toutes sortes de supports.
La scène centrale du plateau du Musée de la céramique de Rouen représente deux mandarins prenant la collation dans une barque conduite par leurs serviteurs. Elle tire probablement sa source iconographique d’une gravure de Johan Nieuhoff extraite de L’Ambassade de la Compagnie orientale des Provinces-Unies vers l’Empereur de la Chine… (1665) : une fête représentée avec un apparent soucis d’exactitude, rassemble en effet des mandarins à bord d’un bateau. Transformée en une pittoresque fantaisie elle se retrouve placée sous un baldaquin développé en courbes et contre-courbes, issu des arabesques dans le goût de Bérain, qui s’ouvre à la manière d’un théâtre et renforce l’irréalisme de la scène.
Le retour de la polychromie au début du siècle s’accompagne de difficultés à maîtriser la cuisson des oxydes métalliques utilisés pour les couleurs, notamment le vert de chrome, peu stable. Le plateau ayant été placé verticalement, le côté droit en haut, l’émail a coulé au niveau de la manche du rameur de gauche. Le dessin est cependant d’une grande qualité et les autres couleurs parfaitement cuites. Il appartient au groupe communément appelé par les amateurs “cinq couleurs”, que l’on date des années 1720-1730, où il est assez exceptionnel de trouver des décors figurés, la plupart des pièces étant ornées de motifs rayonnants ou d’éléments de ferronnerie, parfois de corbeilles fleuries. Le musée conserve cependant un grand plateau de table cabaret de ce style représentant en son centre une scène champêtre montrant des couples jouant à la balançoire. Le plateau des mandarins est émaillé sur son revers ce qui suppose une utilisation comme plateau de service, vraisemblablement pour présenter des petites tasses à thé ou à café ainsi qu’on en trouve de nombreuses mentions dans les inventaires de l’époque.
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Le choix du conservateur : Gilles Grandjean
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°108 du 30 juin 2000, avec le titre suivant : Le choix du conservateur : Gilles Grandjean