Une fois par mois, nous invitons un conservateur à choisir une pièce de son musée, qu’il souhaite mettre en avant et faire mieux connaître du public. Claude Allemand Cosneau, conservateur en chef au Musée des beaux-arts de Nantes, a sélectionné une étude à l’huile de Jean-Léon Gérôme, Tête de femme coiffée de cornes de bélier (1853).
Lorsque tout jeune artiste, Gérôme, élève de Paul Delaroche, expose pour la première fois au Salon à Paris, en 1847, Jeunes grecs faisant battre des coqs (Paris, Musée d’Orsay), il obtient le soutien immédiat de Théophile Gautier qui vante son “élégance rare” et sa “distinction exquise”. La mode du néo-grec est lancée et pendant une dizaine d’années, dans les ateliers du Chalet, rue de Fleurus, les “Barbus” – Gérôme, Picou, Hamon ou Toulmouche – vont peindre des sujets aimables, à l’esthétique hellénistique ou pompéienne, dans des tons suaves et d’une facture très lisse renforçant l’impression poétique. Ils trouvent leur inspiration chez Anacréon, Théocrite ou André Chénier, et inventent un monde idyllique dans une Grèce rêvée, loin de toute préoccupation sociale ou historique contemporaine. Cette réaction idéaliste est vivement combattue par les défenseurs de Courbet et du réalisme comme Champfleury, qui les classe impitoyablement sous la bannière d’Ingres.
Matthew Barney ou Orlan
Dans cet étonnant tondo, la figure féminine aux épaules dénudées est vêtue d’un étrange costume recouvert de fourrure avec des manches soyeuses à crevés, et porte sur la tête de belles cornes de bélier recourbées, surgies de sa chevelure rousse ondulée. Les traits du visage lui-même sont ambigus : le nez dans le prolongement d’un front légèrement bosselé, les yeux baissés comme un jeune animal craintif ; le personnage a, discrètement, quelque chose d’un mutant et nous renvoie presque aux études physiognomoniques de Le Brun. Est-ce l’image d’une jeune fille apprêtée pour un bal costumé ou un personnage mythologique ? Ni la littérature, ni l’iconographie gréco-romaine ne font allusion à une femme aux cornes de bélier, et l’on doit penser qu’il s’agit d’une figure de fantaisie, à l’antique ou peut-être inspirée d’œuvres de la Renaissance italienne. Quoi qu’il en soit, le tableau possède un charme mystérieux. Le style de l’artiste est très précis, presque précieux : la touche fine et chaque détail peint avec soin confèrent au personnage une présence troublante qui m’évoque, si j’ose ce rapprochement, les recherches – évidemment étrangères à Gérôme – de nombreux artistes d’aujourd’hui, comme Matthew Barney ou Orlan.
Exposé à Nantes, au Salon de 1854, sous le titre Tête d’étude, le tableau fut acheté pour le musée, sans doute en raison des succès parisiens du jeune artiste. La Ville de Nantes, qui depuis 1838 orientait toute sa politique d’acquisition vers l’art contemporain, achètera à Gérôme trois autres peintures dans les années suivantes, dont la Vue de la plaine de Thèbes - Haute Égypte (1857) et le fameux Prisonnier (1861), sujets orientalistes à la mode au moment où l’on ne comprenait pas encore la modernité de Manet ou des jeunes impressionnistes.
Jean-Léon Gérôme (Vesoul 1824-Paris 1904), Tête de femme coiffée de cornes de bélier, étude, 1853, huile sur toile : diam. 47,5 cm, signée et datée à gauche : J.L. Gérôme 1853. Musée des beaux-arts de Nantes, inv. 987. Cliché Ville de Nantes, musée des Beaux-Arts, A. Guillard.
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Le choix du conservateur : Claude Allemand Cosneau
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°88 du 10 septembre 1999, avec le titre suivant : Le choix du conservateur : Claude Allemand Cosneau