Une fois par mois, nous invitons un conservateur à choisir une œuvre de son musée qu’il souhaite mettre en avant et faire mieux connaître du public. Alain Tapié, conservateur en chef du Musée des beaux-arts de Caen, a sélectionné Saint Charles Borromée donnant la communion aux pestiférés de Milan de Pierre Mignard (1612-1695).
Le sujet de Saint Charles Borromée donnant la communion aux pestiférés de Milan joue un rôle très important dans le mouvement des œuvres de charité et participe de façon fondamentale à la spiritualité au XVIIe siècle. Pierre Mignard (1612-1695) réalisa ce modello à l’occasion d’un concours organisé par la puissante famille des Colonna en 1650 à Rome pour l’ornement du maître-autel de l’église San Carlo ai Catinari. Il répondit à l’invitation et présenta une esquisse peinte. On devait lui préférer Pierre de Cortone, dont le tableau fut mis en place en 1667. Le sujet choisi est l’un des plus populaires de ces temps de Contre-Réforme. L’iconographie de saint Charles Borromée est liée à l’épidémie de peste survenue à Milan en 1576, qui provoqua la mort de quelque 20 000 personnes. Charles Borromée (1538-1584), alors archevêque de la ville, s’occupa des nombreux malades touchés par le fléau, formant des prêtres pour prendre soin des victimes. Il incarne et développe un geste de piété et de charité peu répandu à l’époque. Sa manière de se mêler aux pestiférés, qui associe le rythme symbolique des processions à l’activité concrète de son action curative, est à rapprocher de la pensée jésuite. Destiné à intégrer une composition monumentale placée à plus de deux mètres du sol, le tableau répond à la double nécessité de monumentalité et d’éclairement venant du bas. Le peintre choisit ainsi de privilégier l’effet de foule. Cédant au réalisme sublime, il représente un saint Charles concret et délivre une œuvre d’inspiration caravagesque. La prolifération d’éléments humains dans la moitié supérieure du tableau participe de la même dimension. Les corps des personnages y apparaissent comme soustraits à la douleur. On ne trouve pas d’abandon physique chez Mignard, mais bien une imploration, un élan spirituel vers la figure du saint. L’inspiration est ici toute baroque, proche de celle de Poussin ou de Pierre de Cortone. La composition met en avant un groupe en triangle, unité physique, plastique et spirituelle, tandis que le saint est représenté avec un dos voûté. L’ouverture sur une architecture est propre à mettre en œuvre une rhétorique de l’église et de la ville idéale, peinte ici à la manière de Poussin, c’est-à-dire à la française. Les anges sont comme les composantes du paysage, des éléments de pure rhétorique qui rappellent le caractère double de saint Charles, homme d’action et de pratique rituelle. Diffusée par la gravure de François de Poilly, l’œuvre de Mignard connut un vif succès.
Le Musée des beaux-arts de la Ville de Caen a récemment pu l’acquérir après sa découverte sur le marché de l’art parisien (galerie Coatalem). L’existence du modello était connue du Musée de Caen depuis plusieurs années, notamment grâce à une exposition de 1986 sur le thème de la charité. Le tableau présenté à l’époque était celui du Musée André-Malraux du Havre. Mais la signature présente sur l’œuvre de Caen – absente sur celle du Havre –, la profondeur, la fluidité des enchaînements et la gestuelle théâtrale de la manière montrent bien, ainsi que le confirme Jean Boyer, grand spécialiste du peintre, qu’il ne s’agissait pas du modello original. Aujourd’hui, cette acquisition prend place très naturellement au sein des collections du Musée des beaux-arts de Caen, et s’insère dans le travail que nous menons actuellement sur le Baroque et la vision jésuite.
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Le choix du conservateur : Alain Tapié
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°113 du 20 octobre 2000, avec le titre suivant : Le choix du conservateur : Alain Tapié