Imbroglio

Le British Museum en froid avec l’Iran

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 2 mars 2010 - 810 mots

À la suite de découvertes scientifiques majeures, le Cylindre de Cyrus n’a pas été prêté à l’Iran au mois de janvier comme prévu, entraînant l’ire de Téhéran

LONDRES (ROYAUME-UNI) - Le British Museum s’est déclaré « très surpris » d’apprendre la décision d’un responsable politique iranien de cesser toutes relations avec l’institution britannique. À la suite de découvertes scientifiques majeures, le musée avait décidé de repousser le prêt du Cylindre de Cyrus, fleuron de ses collections du Moyen-Orient, qui devait rejoindre le Musée national de Téhéran le 16 janvier dernier. L’Organisation iranienne pour le patrimoine culturel, l’artisanat et le tourisme avait très vite donné son accord de principe. Or, le vice-président iranien, Hamid Baqaei, par ailleurs directeur de ladite organisation, ne l’a pas vu de cet œil. Le 6 février, il a annoncé que Téhéran « cessait toutes ses relations et collaborations avec le British Museum », appelant l’Unesco et d’autres musées internationaux à prendre les mêmes mesures. Cette annonce est d’autant plus surprenante qu’elle est survenue quatre jours après que les membres du conseil du British Museum se sont réunis en session extraordinaire pour approuver le prêt pour le mois de juillet. Le jour même, le 2 février, le bureau d’Hamid Baqaei était informé de la décision du conseil. Quarante-huit heures après la déclaration de rupture, le 8 février, Azadeh Ardakani, fraîchement nommée à la tête du musée iranien, envoyait un courriel au British Museum assurant que la coopération était toujours à l’ordre du jour et qu’elle espérait qu’il en était de même pour le prêt.

Le Musée national de Téhéran attend depuis longtemps le prêt de cette icône historique, où figure un texte fondamental du roi perse Cyrus le Grand que les scientifiques actuels considèrent comme la première déclaration des droits de l’homme. L’institution aurait même dépensé 150 000 euros pour améliorer son système de sécurité, ce à la demande du musée britannique. Or, la découverte de deux fragments d’une même tablette cunéiforme, où l’on retrouve une partie de ce même texte datant de 539 av. J.-C., a poussé le British Museum à retarder son prêt. Un premier fragment a été identifié le 31 décembre par Wilfred Lambert, professeur à la retraite de l’université de Birmingham qui passait au crible quelques-unes des 130 000 tablettes du musée. Si cette tablette était déjà passée entre les mains de scientifiques, personne n’avait encore fait le lien avec le Cylindre de Cyrus. Irving Finkel, conservateur au British Museum, a par la suite identifié un second fragment. Ces deux pièces (sensiblement plus petites que des boîtes d’allumettes) avaient été déterrées par une équipe du musée en 1879 à Dailem, au sud de Babylone, qui se trouvait alors dans l’Empire ottoman (en Irak aujourd’hui). Deux ans plus tard, les fragments étaient entrés dans les collections du British Museum.

Nouvelles garanties exigées
L’un des fragments vient apporter des clarifications sur un passage illisible du Cylindre de Cyrus, l’autre une partie du texte manquant – une portion du Cylindre s’est brisée avant l’excavation. Le conservateur au département du Moyen-Orient du musée, John Curtis, qualifie cette découverte de « très importante », car le texte ne se contente pas d’exister sous forme cylindrique. Le Cylindre aurait été enterré en 539 av. J.-C. dans les fondations de Babylone, et il est désormais évident que le texte a été inscrit sur d’autres tablettes, qui auraient parfaitement pu être distribuées à travers l’Empire perse, à la manière d’un décret impérial. Cette découverte vient par ailleurs conforter la théorie selon laquelle les faits relatés dans le livre d’Esdras (Ancien Testament) s’inspirent du décret de Cyrus. Le British Museum entend organiser un colloque international sur le sujet avec des scientifiques iraniens au début de l’été. D’ici là, on espère trouver des fragments supplémentaires, identifiables car rédigés par un scribe à l’écriture lisible. C’est au British Museum que les chances de trouver d’autres fragments sont les plus grandes, mais il faut également compter sur les musées turcs, irakiens, européens et nord-américains. Le British Museum souhaitait prêter le Cylindre de Cyrus, ainsi que les deux tablettes à Téhéran, dans la foulée du colloque londonien. Or, après la rupture des relations par l’Iran, tout prêt requerra un nouveau feu vert de la part du conseil du musée.

Les relations entre Téhéran et l’Occident sont particulièrement tendues suite aux craintes internationales de voir l’Iran développer sa puissance nucléaire, tandis que l’Iran accuse les pouvoirs occidentaux d’encourager tacitement les manifestations d’opposition dans le pays. Des sources, au British Museum, indiquent que, même si Hamid Baqaei se rétractait et que les relations reprenaient, il serait très difficile d’approuver le prêt d’un objet antique aussi iconique, vu l’imbroglio politique du mois de février. Le musée britannique exigera des garanties de la part des plus hautes sphères du pouvoir iranien pour que le Cylindre de Cyrus soit bien rendu à l’issue du prêt prévu pour une durée de quatre mois.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°320 du 5 mars 2010, avec le titre suivant : Le British Museum en froid avec l’Iran

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