Le conseil d’administration du British Museum a estimé que le musée avait besoin d’un directeur général – managing director – en complément de son directeur actuel, Robert Anderson, pour que sa rénovation soit réussie. Suzanna Taverne, jeune femme d’affaires issue du monde des médias, a été recrutée au même salaire que Robert Anderson, près d’un million de francs par an. Les deux intéressés s’expliquent sur leurs rôles, fonctions, et compétences respectives.
LONDRES (de notre correspondant). Le 1er mai, Suzanna Taverne a pris son poste, nouvellement créé (lire le JdA n° 75), de directeur général du British Museum. Chargée de la gestion financière du musée, ses fonctions sont d’une importance égale à celles du directeur Robert Anderson, chargé de la gestion des collections. Ce nouvel organigramme implique des changements dans le fonctionnement du plus grand des musées britanniques. De l’avis des trustees (le conseil d’administration) du British Museum, une direction renforcée était nécessaire afin de mener à bien des projets d’envergure comme la Great Court. Selon certaines rumeurs, le ministère de la Culture aurait aussi fait pression dans ce sens. Ces réformes administratives ont suscité de vives inquiétudes au sein du musée, nombre de conservateurs redoutant qu’elles nuisent à la qualité des collections et des expositions. Lors de l’entretien que nous publions, les duettistes – que tout semble différencier – étaient encore peu familiers l’un de l’autre. Robert Anderson, qui vient d’avoir cinquante-cinq ans, a derrière lui une brillante carrière de spécialiste en histoire des sciences dont les publications font autorité. Son travail dans les musées d’Édimbourg et de Londres est reconnu par ses collègues, qui le considèrent plus comme un théoricien que comme un gestionnaire. Suzanna Taverne, sa cadette d’une vingtaine d’années, vient du monde des médias. Son charme certain ne doit pas faire oublier sa personnalité affirmée et son esprit analytique. Les optimistes pensent que son arrivée permettra au British Museum d’effectuer les changements nécessaires à son entrée dans le troisième millénaire, mais le personnel scientifique craint que les priorités du musée soient dorénavant établies en fonction de critères financiers.
Suzanna Taverne, vous avez comparé la relation entre le directeur général et le directeur du musée à celle qui existe entre un rédacteur en chef et un éditeur. Pour avoir travaillé à The Independent et au Financial Times, vous connaissez le monde de la presse où ces relations sont souvent tendues. Pourriez-vous préciser cette comparaison ?
Suzanna Taverne : Bien sûr, toute relation peut être source de conflit, mais une coopération harmonieuse permet de définir clairement les rôles et les compétences du rédacteur en chef et de l’éditeur. Le rédacteur en chef est responsable du contenu et du choix des articles ; il doit cependant travailler en accord avec quelqu’un dont le rôle essentiel est la gestion des ressources : l’éditeur du journal.
Robert Anderson : Je ne connais pas le monde de la presse aussi bien que Suzanna Taverne. Mais que cela plaise ou non, nous sommes entrés dans une époque où les compétences requises pour diriger un musée national ne sont plus uniquement celles, traditionnelles, du conservateur. Il en faut beaucoup d’autres qui lui sont complémentaires, ce qui ne signifie pas l’érosion des anciennes qualités mais la création d’un contexte qui leur permette d’être valorisées.
Mais ne risque-t-on pas de voir apparaître un fossé entre les conservateurs et les gestionnaires ?
S. T. : Robert et moi devront nous entendre sur nos objectifs. Une fois ceux-ci établis en fonction du budget, les différences devraient se réduire, car le cadre des discussions sera déterminé.
R. A. : Je ne crois pas que Suzanna se fera le défenseur d’une partie du musée et moi de l’autre. Nous savons l’un et l’autre que toutes les parties doivent contribuer à la réussite de l’ensemble.
S. T. : Pour moi, il n’y a pas deux parties différentes. La gestion des ressources nous concerne l’un comme l’autre.
Prenons comme exemple les expositions temporaires. Comment vont se répartir les responsabilités ?
S.T. : Définir le rôle du programme des expositions par rapport à l’ensemble de nos objectifs est évidemment quelque chose que nous ferons conjointement. Ce qui signifie déterminer l’envergure, la quantité et la fréquence des événements. Leur contenu est bien sûr du domaine de Robert Anderson. Pour ma part, je serai responsable de la gestion optimale et adéquate de l’espace d’exposition. Quant à la publicité, nous nous en occuperons tous les deux.
R. A. : Je crois qu’il faut renouveler notre approche. Jusqu’à maintenant seul un très petit nombre de visiteurs du musée venaient voir nos expositions temporaires. Notre objectif pour les années à venir est d’améliorer leur qualité. Pour ce faire, nous avons besoin d’un espace approprié. Il faudra trouver le moyen de doubler ou de tripler la surface actuelle, ce qui permettra de monter des expositions internationales.
Suzanna Taverne, vous reconnaissez ne pas avoir d’expérience dans le monde des musées. Est-ce un handicap ?
S. T. : Je dirais que c’est plutôt un avantage. Il est certain que des aspects de ce travail seront radicalement différents de tout ce que j’ai fait jusqu’à présent, mais les façons de penser, de prévoir et de gérer que j’ai utilisées jusqu’ici me seront très utiles. Je n’aurais pas pu acquérir une expérience aussi vaste dans un musée.
Le British Museum est une institution historique qui a gardé nombre de ses anciennes habitudes. Venant de l’extérieur, pensez-vous que le musée a besoin d’être modernisé, peut-être même d’être complètement réorganisé ?
S. T. : Oui, et je pense que tout le monde est d’accord sur ce point. Le processus est d’ailleurs engagé. Il est à poursuivre et j’espère jouer un rôle dans cette transformation.
R. A. : L’idée que le British Museum est une vieille institution et que de ce fait, il n’a pas changé, me surprend toujours. Au contraire, son ancienneté atteste qu’il s’est mieux adapté que d’autres musées. Depuis mon arrivée ici, les modifications ont été nombreuses.
Le ministère de la Culture a-t-il encouragé la création du nouveau poste?
R.A. : Ils en sont satisfaits.
Mais ce n’est pas vous qui avez demandé la venue d’un directeur général.
R.A. : La décision a été prise par le conseil d’administration. Nous nous interrogions sur la direction du musée. Je suis ravi de la solution qui a été adoptée.
Née en 1960, Suzanna Taverne est la fille de Lord Taverne, ancien député travailliste devenu aujourd’hui pair du parti libéral. Après des études au Balliol College, à Oxford, elle a débuté sa carrière en 1982, à la banque d’affaires S.G. Warburg. En 1990, elle entre chez Newspapers Publishing, propriétaire du journal The Independent, où elle dirige le service financier et celui du développement En 1994-1995, elle fait un court passage dans l’agence de publicité Saatchi & Saatchi, en tant que consultante auprès du directeur, pour ensuite entrer chez l’éditeur Pearson au poste de directrice générale chargée des finances, puis de directrice de la stratégie et du développement.
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Le BM bicéphale
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°85 du 11 juin 1999, avec le titre suivant : Le BM bicéphale