En Roumanie, si certaines églises des Maramures et de Transylvanie sont en cours de restauration grâce à des subsides occidentaux, rien n’est fait en revanche pour sauvegarder le patrimoine architectural rural traditionnel. La disparition des maisons paysannes en bois paraît malheureusement tout aussi inéluctable qu’elle l’a été dans les pays voisins.
BUCAREST - Au début des années quatre-vingt, le défunt président roumain Nicolae Ceaucescu s’était rendu célèbre pour avoir fait abattre, entre autres, toute une partie du vieux Bucarest. Ainsi, la première cité socialiste pour le nouvel homme socialiste allait s’ériger sur les décombres du Paris des Balkans. Au centre de la capitale roumaine, se dresse désormais un chef-d’œuvre de mégalomanie, l’immense Maison de la République. De cet édifice, d’un blanc éclatant, part le boulevard de la Victoire du Socialisme – long de quatre kilomètres –, flanqué de tours blanches, toutes identiques.
Ceaucescu avait ensuite imaginé exercer ses talents d’urbaniste dans la campagne roumaine : des milliers de villages traditionnels devaient être détruits par les bulldozers et leurs habitants contraints de s’installer dans les nouveaux complexes agro-industriels construits à leur place. Renversé et exécuté au mois de décembre 1989, le dictateur n’a pas eu le temps de mener à bien sa politique de systématisation des villages…
Il s’avère aujourd’hui, par une curieuse ironie de l’histoire, que la politique de Ceaucescu et ses goûts dispendieux en matière d’architecture moderne ont involontairement permis aux villages roumains de demeurer intacts. La pauvreté de leurs habitants les a contraint à entretenir leurs vieilles maisons, rares étant ceux qui pouvaient s’offrir le luxe d’en construire de nouvelles.
Quiconque a parcouru la campagne roumaine sait quelles beautés elle réserve sur le plan architectural. Depuis les maisons en bois de Moldavie et du massif des Maramures, parfois crépies et peintes en bleu outremer, le toit couvert de chaume ou de lauzes, jusqu’aux solides maisons en pierre de la minorité saxonne de Transylvanie, badigeonnées de bleu, de vert ou d’ocre doré, nulle part en Europe orientale n’existe un éventail aussi complet de types d’architecture paysanne ancienne.
Cauchemar pavillonnaire
Mais alors que cette architecture rurale traditionnelle a en partie survécu sous le communisme, le système libéral fait aujourd’hui peser sur elle une menace sans précédent. Les maisons anciennes sont remplacées peu à peu par des habitations en béton dont le modèle a été popularisé par les séries télévisées américaines. Ce rêve de nouveaux riches – ou, à tout le moins, de ceux qui sont plus fortunés que les autres – n’entretient pratiquement aucun rapport avec le style traditionnel. Si dans les monts de Bukovine, au nord de la Moldavie, les constructions nouvelles sont encore en bois, ailleurs, à de rares exceptions près, le cauchemar pavillonnaire gagne du terrain.
Six ans après la mort de Ceaucescu, il n’existe toujours aucune loi pour la sauvegarde des monuments historiques, et encore moins pour les simples maisons de village, aussi chacun peut-il démolir et construire à sa guise. Et comme beaucoup s’y emploient, la campagne roumaine est en train de changer d’aspect.
Mais on comprend pourquoi les Roumains ont envie de bâtir de nouvelles maisons : les anciennes sont le plus souvent petites, avec des fenêtres étroites, sans salles de bains ni sanitaires. En outre, les constructions en bois demandent beaucoup d’entretien, et leur durée de vie est limitée. Enfin, la population éprouve rarement de la fierté ou du plaisir à vivre dans une maison ancienne. Elle en a même souvent honte.
L’Europe et le Getty à la rescousse
Un peu partout dans le pays, s’élèvent également de nouvelles églises, toujours en béton, afin d’accueillir un nombre toujours croissant de fidèles, depuis que la pratique de la religion a été officiellement autorisée. Les églises anciennes sont le plus souvent désaffectées et se désagrègent littéralement quand elles sont en bois – faute d’argent –, sauf si elles ont la chance d’être placées sous la protection de l’Unesco, comme c’est le cas pour les monastères de Bukovine et leurs fameuses fresques.
En revanche, les petites églises de la région montagneuse des Maramures ne figurent pas sur la liste du patrimoine mondial. Datant pour la plupart du XVIIIe siècle, elles constituent pourtant un groupe d’une grande beauté. Construites entièrement en bois, avec de hauts clochers couverts de bardeaux, elles s’ornent à l’intérieur de fresques primitives colorées représentant des saints, des martyrs, des scènes de l’Ancien Testament et du Jugement dernier. Peintes sur toile, elles ont été ensuite collées sur le bois. Malheureusement, dans bien des cas, le bois devient pulvérulent, l’humidité s’infiltre et la toile se détache.
Le ministère roumain de la Culture et un Anglais, Brian Tanner, s’emploient à trouver des subsides auprès de la Commission européenne et de la Fondation Getty, afin de restaurer les églises des Maramures. Un projet a été mis au point pour les sept plus importantes d’entre elles, qui ont un besoin urgent de réparations. Jusqu’ici, la Commission européenne a accepté de financer la remise en état d’une seule église, celle de Surdesti, dont le clocher en bois s’élève à 52 mètres.
Le financement du sauvetage des autres églises des Maramures reste encore à trouver, mais leurs besoins sont maintenant de notoriété publique : si la Commission européenne et la Fondation Getty ne parviennent pas à débloquer des crédits, il est difficile de croire qu’on les laissera s’effondrer. Il en est de même pour un certain nombre de monuments roumains, dont l’importance historique est parfois plus considérable encore.
Plusieurs fondations allemandes ont ainsi témoigné de l’intérêt pour les églises médiévales fortifiées des Saxons de Transylvanie : la Fondation Messerschmitt se charge de la remise en état, fort coûteuse, de l’église-château de la pittoresque ville de Signhisoara. Malheureusement, jusqu’à maintenant, les maisons en bois des villages roumains ont hélas échappé à l’attention internationale…
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Le béton gagne la campagne roumaine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°21 du 1 janvier 1996, avec le titre suivant : Le béton gagne la campagne roumaine