Né à Strasbourg en 1950, Christian Bernard a été conseiller pour les arts plastiques auprès de la Drac Rhône-Alpes de 1982 à 1985, avant de diriger la Villa Arson, à Nice, de 1986 à 1994. Il est depuis directeur du Musée d’art moderne et contemporain de Genève (Mamco). Il commente l’actualité.
En France, le Front national a réussi à bloquer le versement de subventions pour des structures culturelles en Languedoc-Roussillon. Vous avez démissionné de la vice-présidence du conseil d’administration de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne. Cette décision a-t-elle été motivée par la montée du Front national ?
Non, ce n’était pas en relation directe. Cependant, on se trouve dans certaines régions devant cette attitude habile et perverse du Front national qui choisit ses victimes d’une façon limpide : il attaque ceux qui l’attaquent. Tous ceux qui conservent le silence restent momentanément indemnes. Ainsi, n’est-il plus besoin de collaborer pour être complice. Par ailleurs, il ne faut plus s’en tenir au seul Front national (ou à sa pseudo scission). Ses prétendues idées – voyez comme on a laissé galvauder cette notion – ont contaminé beaucoup de discours. On les entend avec peut-être plus d’innocence, moins d’arrogance, mais certainement autant d’efficacité obscurantiste, dans la bouche d’élus de droite, et parfois de gauche. Voyez par exemple la censure de l’Atelier van Lieshout à Rabastens. Il y a là quelque chose qui mériterait d’être davantage relayé, analysé et dénoncé. À ne pointer que l’action nocive du FN, on laisse prospérer des attitudes vis-à-vis de la création qui n’ont guère à lui envier. Je vous suggère, par exemple, d’aller voir ce qui se passe en Bretagne, et de constater les soucis que le Frac peut avoir face aux identitaires bretons que le RPR a mis au pouvoir.
À Genève, des artistes comme Fabrice Gygi ou Sidney Stucki se sont mobilisés pour la sauvegarde d’un quartier, l’îlot 13. Considérez-vous qu’il est important que des artistes prennent position dans la vie de leur cité ?
Chaque fois qu’un artiste se comporte en citoyen actif, je trouve cela plutôt rassurant. Le territoire de l’art n’est pas le seul domaine de l’existence ni de l’action d’un artiste. À propos de l’exemple que vous évoquez, je voudrais souligner qu’on se fait souvent une image faussée de Genève. C’est aussi une ville où le monde alternatif est très développé : plus de 350 squats qui logent environ 6 000 personnes, une vraie contre-culture qui dispose d’équipements culturels variés et dont beaucoup d’artistes sont issus ou proches. C’est le cas du groupe KLAT que nous présentons actuellement.
À Paris, des lieux alternatifs sont nés, comme Glassbox, Accès Local ou Public. Parallèlement, la ministre de la Culture vient d’annoncer la création d’un nouveau centre d’art. Il s’impose selon vous.
Si l’on pense que l’on a affaire à une agglomération de 10 millions d’habitants, si l’on regarde les équipements dont dispose l’Île-de-France pour l’art de notre époque, on peut considérer que Paris est gravement sous-équipé. L’antagonisme entre Beaubourg et le Musée d’art moderne de la Ville de Paris paraît improductif. Le Jeu de Paume a cessé d’arbitrer leur faux débat. Sans doute l’État a-t-il besoin d’espaces pour rendre les hommages qu’il croit devoir rendre, mais cela ne concerne pas la vie de l’art. Donc, il n’y a pas à Paris de lieu expérimental et non tributaire des structures lourdes. La question n’est pas de savoir s’il en faut un mais lequel, sur quel projet artistique, sous quelle forme, avec quels moyens. Je ne suis pas certain que l’administration sache l’imaginer. Les petits lieux alternatifs dont vous parlez sont le signe d’une nouvelle vitalité de la scène parisienne, de la transformation des modes de proposition et de diffusion. C’est avec ces nouveaux acteurs et à partir d’une analyse fine de ces lieux et processus, au moins à l’échelle européenne, que l’on doit déduire le centre d’art dont Paris a besoin.
Dans le même temps, Jean-Hubert Martin part à Düsseldorf, et vous travaillez en Suisse.
À Genève, j’ai vraiment pu disposer d’un accueil parfait, d’une confiance et d’une liberté entières pour concevoir et faire fonctionner le Mamco. La puissance normative de certains secteurs du ministère de la Culture tend à standardiser toutes les situations. On voudrait maintenant que les Frac ne soient plus que les forces d’appoint des musées ou des centres d’art, que les musées ne soient plus peuplés que de conservateurs du patrimoine, etc. C’est lourd, cette haine du divers et de l’atypique ; la glaciation progresse. Si l’on ne réinstaure pas des espaces hétérodoxes, on aura tôt fait de donner raison à ceux qui critiquent une gestion étatique de l’art. Mais l’événement le plus triste et peut-être le plus symptomatique de la période, c’est la vente de Beaubourg à Swatch. A-t-on bien réfléchi en haut lieu à la signification des slogans qui s’affichent sur ce bâtiment d’État, comme y est bafouée la devise de la République, comme y est traité le Musée national ? Cette dérive néo-libérale fait mauvais genre.
Le projet de loi sur l’ouverture des ventes publiques en France n’est toujours pas discuté par le Parlement.
Le triomphe de la contre-révolution libérale ne saurait épargner les maisons de vente françaises ! Mais je suis par ailleurs inquiet devant les nouvelles politiques des maisons de vente et devant leur offensive très agressive, notamment celle de Christie’s, dans le champ de l’art contemporain. Si cela continuait, il n’y aurait bientôt plus d’autre médiation entre artistes et acheteurs. On n’a jamais vu une maison de vente investir pour accompagner durablement le développement d’un artiste. Les évidentes tactiques spéculatives qui se font jour sont naturellement dangereuses. De jeunes coqueluches de la scène londonienne font maintenant des prix supérieurs à ceux d’artistes acteurs de l’histoire des années soixante. Et les maisons de vente servent à leurs investisseurs des produits formatés selon leurs critères. Cela aussi est assez loin de la vie réelle de l’art...
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L’actualité vue par Christian Bernard
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°81 du 16 avril 1999, avec le titre suivant : L’actualité vue par Christian Bernard