On se surprend désormais à identifier la Montagne provençale, peinte avec tant d’obsession et d’acharnement, comme un motif cézannien. Comme si le réel s’était converti à la peinture.
« Regardez cette Sainte-Victoire, s’exclame Cézanne. Quelle soif impérieuse de soleil et quelle mélancolie, le soir, quand cette pesanteur retombe. »
Le massif calcaire horizontal, allongé comme une épine dorsale, observable des Bouches du Rhône jusqu’au Var, hisse sa pointe et ses falaises abruptes dans chacun des lieux investis par
Cézanne en Provence. Au fil de sa quête, il la peint de tous les profils, à toutes les distances et de toutes les manières. Plus de quatre-vingts fois et de façon méthodique, sérielle, à partir du milieu des années 1880.
Au seuil du siècle, alors qu’il se rapproche de la synthèse tant attendue, il conserve encore pour la Sainte-Victoire toute son admiration. Il n’en a pas terminé avec elle et plus il la connaît, plus elle se déréalise, plus il lui oppose une représentation tendant vers l’abstraction.
La montagne Sainte-Victoire
Le Mont Sainte-Victoire vu des Lauves appartient à cette ultime série de 1904. Centré comme souvent, repoussé de manière à creuser la toile, il semble se dissoudre dans le paysage. Entre ciel et champs. C’est à peine si on le distingue. La palette sombre, le pinceau appliqué en touches larges et parallèles animent la composition d’une atmosphère tumultueuse.
Et c’est finalement vers le centre du tableau que l’œil s’attarde, vers les masses claires à peine esquissées d’ocres et de tuiles rouges, encerclées par le vert sombre des arbres et les bleus du mont au loin. Cézanne réorganise la logique de la nature dans la toile. Mais il fait en se débarrassant de toute référence extérieure.
Les Baigneurs
Dans les mêmes années, à l’atelier des Lauves, il se consacre aux Grandes Baigneuses, renouant avec un sujet abordé dès le début des années 1870. Il peindra même un petit baigneur en 1883-1885, cerclé de noir, bras ouverts (acquis d’ailleurs par Jasper Johns).
Alors que la perspective de la mort s’invite dans sa peinture, Les Baigneuses le ramènent à la peinture classique, à l’harmonie idyllique équilibrant l’homme et la nature. Les trois compositions
monumentales auxquelles Cézanne s’affaire en cette fin de siècle sont à la fois la mesure de sa maturité en même temps qu’un écart sensible fait à ses mécanismes de création. Lui qui peint ce qu’il voit jusqu’à l’usure, qui semble vouloir ne tirer de leçons que de la nature, renonce aux modèles.
La construction interne des Grandes Baigneuses (1898-1905) ose des perspectives irrésolues. Elle ose aussi un traitement bien peu conventionnel de l’anatomie féminine, tandis que la nature s’ordonne et se structure sereinement.
Les arbres accompagnent dans leur courbure le mouvement un peu raide des corps réunis en un bouquet au premier plan. La touche étonnement discontinue fragmente et unifie dans le même temps. Les bleutés, les ocres et les blancs font ciel, paysage et peau. Les couleurs font ressortir les volumes, et donnent du rythme et de la profondeur à l’ensemble de la surface.
1859 Acquisition du Jas de Bouffan. Cézanne conservera cette propriété jusqu’en 1889. Dans le salon, il réalise ses premières Sainte-Victoire, ainsi que les Joueurs de carte, inspirés par les métayers de la propriété. 1864 Il rejoint sa mère sur les hauteurs de l’Estaque. En compagnie de son épouse Hortense Fiquet et d’Émile Zola, il demeure caché pendant plusieurs mois afin d’échapper à la mobilisation. 1885 Le couple Cézanne s’installe pour deux ans à Gardanne. Il se consacre alors à la peinture du village, de ses ruelles, de ses forteresses. 1901 Cézanne acquiert des terres où règnent figuiers et oliviers. Il y fait construire l’atelier des Lauves où il poursuit le thème des Baigneuses et se lance dans des natures mortes au crâne, méditation sur la mort qui le hante.
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La Victoire... de la peinture moderne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°581 du 1 juin 2006, avec le titre suivant : La Victoire... de la peinture moderne