Les Vénitiens ont salué la reprise du dragage des passes et des canaux avec satisfaction et soulagement. Cette intervention, qui n’avait pas été effectuée depuis trente ans, est devenue indispensable si l’on veut continuer à assurer la circulation dans les canaux et la sécurité des bâtiments.
VENISE (de notre correspondante) - Le nettoyage des passes et des canaux est essentiel à la survie de la ville pour au moins trois raisons : la dépollution, d’autant plus nécessaire que la ville n’est pas équipée d’un réseau d’égouts, l’amélioration de la circulation dans la lagune et dans les canaux, et la sauvegarde des édifices. Au XIIe siècle déjà, le Codex de Piovego établissait que dans le port naturel de Venise, l’eau et les canaux navigables devaient être considérés comme un bien commun.
L’urbanisation de Venise – son implantation sur la terre ferme et sur les îles de la lagune –, repose sur les articulations complexes d’un système que l’homme a créé et entretenu continuellement. Mais l’émergence, dans les années soixante-dix, de conflits de compétence entre les diverses administrations régionales, provinciales et communales, avait interrompu ces opérations de dragage, habituelles par le passé. Des querelles étaient nées concernant les lieux où il était préférable de décharger la boue et les sédiments, pollués par les rejets des sites industriels de Mestre et de Porto Marghera.
Enfin, de nombreuses études techniques étaient menées sur la manière de procéder au nettoyage. Comme si les sociétés vénitiennes qui s’en chargeaient auparavant n’avaient eu ni l’expérience, ni les capacités professionnelles de trouver des solutions ! Heureusement, le conseil municipal de Massimo Cacciari est parvenu à un consensus, là où tant d’autres avaient échoué.
Des maisons qui s’effondrent
Si l’opinion publique est sensible aux problèmes posés par les acque alte, ces grandes marées qui, lors des tempêtes d’hiver, recouvrent spectaculairement la place Saint-Marc, elle sous-estime, en revanche, les effets bien plus graves des marées de faibles amplitudes (basses eaux). L’accumulation de boues au fond des canaux compromet la navigation, et les pompiers signalent depuis des années qu’en cas d’incendie, cinq quartiers de Venise ne sont plus accessibles. À la fin de l’année dernière, les premières interventions ont débuté, sur leurs conseils, à partir des canaux voisins du théâtre de la Fenice.
Le nettoyage des 170 canaux devrait durer dix ans et coûter environ 300 milliards de lires (près d’un milliard de francs), un budget dont une grande partie sera payée par la ville et le reste par la région. L’estimation ne tient pas compte des dépenses entraînées par l’assainissement des fondations qui seront mises à nu, lorsque les canaux seront désenvasés, pour permettre la vérification de leur stabilité et celle des bâtiments qui y prennent appui. Après des décennies de négligence, on a assisté à l’effondrement de plusieurs maisons de Venise et, selon l’Association vénitienne des architectes, la situation est grave.
Des fissures se sont produites jusqu’à cent mètres de la rive Sud. Ainsi les fondations, entrecoupées de passes, des six îles qui forment la Giudecca seraient très endommagées. Une dégradation aggravée par la salinité et par le marnage (l’amplitude maximale entre la haute et la basse mer) qui atteint 1,5 m à l’équinoxe.
Le projet Moïse
La solution à tous ces problèmes tient pour une grande part aux interventions de nettoyage à intervalles réguliers. En revanche, le problème que posent les acque alte est plus complexe, et l’on continue à s’interroger sur l’intérêt plus ou moins grand de la construction de digues mobiles à l’entrée du port (le projet Moïse). Ce projet est le point de départ d’une action menée en collaboration avec la France. En une vingtaine d’années, il devrait mettre la lagune à l’abri des acque alte en bouchant partiellement les passes, sans perturber l’équilibre de l’écosystème.
Un module expérimental électromécanique de ralentissement des marées est en place depuis 1988. Le maire de Venise, Massimo Cacciari, souligne tout de même le coût élevé de l’opération et s’interroge sur la compatibilité de l’ouvrage et du milieu.
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La Sérénissime se fait enfin draguer
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°11 du 1 février 1995, avec le titre suivant : La Sérénissime se fait enfin draguer