La Neue Pinakothek est fermée, indépendamment du Covid-19

Munich. Sur la vaste pelouse devant l’imposant bâtiment de style néoclassique, une mère de famille prend le soleil à côté de son bambin qui sommeille. Un peu plus loin, un petit garçon fait du vélo près de son père. Le temps est radieux. D’habitude, les étudiants sont nombreux dans cet espace vert situé en plein cœur de Munich et entouré de bâtiments universitaires. Mais depuis plusieurs semaines, l’endroit est presque désert. Seuls quelques résidents du quartier viennent prendre l’air pour échapper au confinement. Depuis le 14 mars, les portes de la Pinakothek sont closes.

Le plus grand musée bavarois est composé de trois bâtiments distincts. L’Alte Pinakothek, qui se trouve devant la grande pelouse, abrite 700 œuvres d’art réalisées entre le XIVe et le XVIIIe siècle. Inauguré en 1836, ses galeries présentent des toiles de Dürer, Raphaël, Léonard, Titien, El Greco, Rubens et Rembrandt qui appartenaient aux Wittelsbach, cette famille qui a régné sur la Bavière et sur le Palatinat et a donné des souverains au Saint Empire romain germanique, à la Suède et à la Grèce. De l’autre côté de la Barer Straße, la Pinakothek der Moderne est consacrée à l’art moderne et contemporain. Son vaste dôme en verre de 25 mètres de hauteur est un véritable puits de lumière qui éclaire l’édifice de 12 000 m2 imaginé par Stephan Braunfels, l’architecte qui a conçu plusieurs bâtiments du Parlement fédéral à Berlin. En face de l’Alte Pinakothek, la Neue Pinakothek a un style bien différent.

Ce bâtiment postmoderne, très austère, n’a pas attendu la pandémie pour fermer ses portes au public. Depuis le 31 décembre 2018, ses vingt-deux salles n’ont pas vu un seul visiteur. Les seules personnes qui peuvent pénétrer dans ce complexe sont des ouvriers qui continuent de travailler malgré le confinement. Une infime partie de la collection de ce musée consacré au XIXe siècle, qui comprend des toiles d’Édouard Manet, de Claude Monet, de Vincent Van Gogh, de Gustav Klimt et de Paul Cézanne, est abritée dans une salle du rez-de-chaussée de l’Alte Pinakothek. Les autres œuvres sont conservées dans un hangar dont l’adresse est gardée secrète.

Les amateurs d’art vont devoir prendre leur mal en patience car la Neue Pinakothek ne devrait pas rouvrir ses portes avant le 31 décembre… 2025 – mais certains experts parlent déjà d’une ouverture en 2027. Ces longues années de travaux paraissent être une véritable éternité pour un bâtiment inauguré en 1981, mais les Munichois savaient depuis longtemps que ce musée aux allures de forteresse n’était qu’un colosse aux pieds d’argile.

Les jours de forte pluie, ses employés devaient se relayer jour et nuit pour placer des seaux destinés à recueillir l’eau qui tombait du toit. C’est grâce à ce « personnel dévoué » que les œuvres d’art n’ont pour l’instant pas été endommagées, aux dires mêmes de Bernhard Maaz, le directeur général des collections de peintures de l’État bavarois. Les techniciens devaient également bricoler des pièces de rechange pour réparer les appareils de climatisation vieux de près de quarante ans. Les nouvelles normes de sécurité contre les incendies n’étaient pas respectées et de nombreux murs contenaient de l’amiante. Depuis plusieurs années, le musée ne proposait plus de grandes expositions car ses dirigeants craignaient que les pièces qui leur auraient été prêtées soient endommagées par une fuite d’eau. Les assureurs rechignaient également à couvrir les risques d’un édifice aussi fragile. L’État de Bavière avait récemment dû débloquer onze millions d’euros pour effectuer les travaux les plus urgents, mais ses services techniques savaient qu’une rénovation beaucoup plus importante était nécessaire pour préserver les œuvres conservées dans le musée et assurer la sécurité des visiteurs et du personnel.

Ce vaste chantier représente un véritable casse-tête pour les architectes qui en ont la charge. Le cabinet munichois Hild und K s’est d’ailleurs associé avec l’agence londonienne Caruso St John Architects pour gérer cet ambitieux programme dont le budget prévisionnel atteint déjà 220 millions d’euros. « De plus en plus de bâtiments postmodernes vont entrer dans les années à venir dans cette phase durant laquelle ils vont devoir être rénovés, explique Andreas Hild, un des deux architectes chargés du projet. Je trouve fascinant de participer à cette période de leur histoire, mais cela représente un véritable défi car ces bâtiments sont extrêmement spécialisés et ils ne sont pas simples à rénover, pour des raisons aussi bien esthétiques, techniques que matérielles. Le plus grand défi consiste à faire en sorte que les travaux aboutissent à un nouvel ensemble expressif et cohérent. »

La Neue Pinakothek n’abrite pas seulement un musée mais aussi l’Institut Doerner, qui conserve et restaure des œuvres d’art détenues par l’État de Bavière, et qui a été temporairement déplacé au coin de la Heßstraße, tout près de ses anciens ateliers. Le bâtiment comprend également des locaux administratifs et une bibliothèque riche de 110 000 ouvrages qui resteront ouverts pendant les travaux. Ce choix complique énormément le travail des ouvriers et rallonge la durée du chantier. L’année 2019 a ainsi été consacrée à déplacer et à sécuriser les œuvres d’art. 2020 est celle du désamiantage des locaux. Les travaux de rénovation proprement dits ne commenceront donc véritablement que l’an prochain et ils devraient durer en théorie trois ans et demi. Un semestre entier sera utilisé pour tester la nouvelle climatisation.

Lors de la réouverture du musée, qui pourrait avoir lieu en toute fin d’année 2025 ou en 2026, voire l’année suivante, les visiteurs risquent d’être un peu déçus car les galeries ouvertes au public ressembleront beaucoup à celles qui ont été inaugurées en 1981. Bernhard Maaz et l’État de Bavière ont en effet estimé que l’édifice dessiné par l’architecte Alexander von Branca (1919-2011) était « digne d’être préservé ». Lors de l’inauguration, les Munichois s’en sont pourtant rapidement moqués en le surnommant le « Trutzburg ». Son design ressemble en effet à s’y méprendre à ces contre-châteaux construits au Moyen Âge pour neutraliser la place-forte voisine et assurer son blocus. La Neue Pinakothek ressemblera donc toujours à une forteresse. Ses gardiens n’auront toutefois plus à se promener avec des seaux les jours de forte pluie…