Dégradés, exigus, obsolètes, les palais de justice sont souvent en bien mauvais état. Dans le cadre de son programme d’équipement judiciaire, le ministère de la Justice a décidé de construire de nouveaux édifices, mais aussi de moderniser le patrimoine existant afin de maintenir sa présence dans le centre historique des villes.
PARIS - Une volée de marches en pierre, un fronton antique et des colonnades, le stéréotype du palais de justice est dans tous les esprits. Il s’est forgé au XIXe siècle, alors que s’élevaient partout en France des dizaines d’édifices voués à l’exercice de la Justice. Aujourd’hui figés et poussiéreux, ceux-ci ne conviennent plus à l’organisation judiciaire. Il est difficile, par exemple, d’informatiser des lieux qui ne s’y prêtent guère. Et face à l’accroissement du contentieux soumis aux tribunaux, la Justice manque cruellement de place. Pour remédier à cette pénurie, des annexes sont louées, mais ce ne sont que des solutions temporaires.
Propriétaire depuis 1987 de l’ensemble des palais de justice (lire encadré), le ministère de la Justice a engagé en 1991 un programme pluriannuel d’équipement judiciaire pour un coût de 4,5 milliards de francs. La Justice est en quête d’une nouvelle image, à mi-chemin entre les édifices solennels et imposants, construits au siècle dernier, et les cités judiciaires des années soixante, élevées à la périphérie des villes, dont l’architecture était si banale qu’elle ressemblait à celle d’immeubles de bureaux. "Un palais de justice, ce n’est pas seulement un bâtiment fonctionnel. On doit voir au nom de quoi on juge", estime Alain Girardet, magistrat et secrétaire général de l’Association française pour l’histoire de la Justice. "Nous préconisons un retour ou un maintien du patrimoine judiciaire dans le centre des villes", déclare René Eladari, responsable de la Délégation générale au programme pluriannuel d’équipement judiciaire.
Architecture symbolique
Vingt-cinq opérations sont en cours, aussi bien des constructions (Richard Rogers à Bordeaux, Jean Nouvel à Nantes, Christian de Portzamparc à Grasse…) que des réhabilitations ou des extensions. Le ministère a été tenté un moment d’arbitrer en faveur de bâtiments neufs pour des raisons de facilité fonctionnelle. Mais à Lyon, les magistrats ont mené une action vigoureuse pour maintenir la présence de la Justice dans le palais des "vingt-quatre colonnes", construit par Baltard au milieu du XIXe siècle. La fronde a porté ses fruits, et l’administration s’est laissée convaincre. Bien que le nouveau palais de justice imaginé par les architectes Yves Lion et Allan Lewitt ait été inauguré l’an dernier dans le quartier moderne de La Part-Dieu, la cour d’appel et la cour d’assises resteront dans l’ancien édifice. Le problème de l’utilisation de ce bâtiment classé au titre des monuments historiques est ainsi résolu.
En effet, l’architecture des palais de justice du siècle dernier est tellement symbolique qu’il est difficile de les destiner à un autre usage. "À Nantes, le conseil général ne savait pas quelle nouvelle affectation donner au vieux palais de justice que nous voulions abandonner pour rassembler toutes les juridictions dans une cité judiciaire. Il a donc été décidé d’y maintenir certaines d’entre elles", explique René Eladari. L’abandon du palais Delphinal à Grenoble, qui doit être cédé au conseil général de l’Isère, a rencontré moins de difficultés, le bâtiment, construit au XVIe siècle et profondément remanié au XIXe, étant moins marqué par l’empreinte de la Justice. Un abandon que regrette cependant Alain Girardet. "Il faut conserver l’ensemble des lieux de justice quoi qu’il en coûte", dit-il. Le ministère de la Justice a, semble-t-il, tenu compte de cette demande. D’une manière générale, il a choisi de conserver et de rénover le patrimoine judiciaire existant. Ce qui ne le prive pas pour autant d’une politique de construction, les vieux palais de justice, même réhabilités, étant trop exigus. Celle-ci suppose l’éclatement des juridictions, dont une partie, la cour d’appel le plus souvent, est maintenue dans l’ancien édifice tandis que les autres sont installées dans un bâtiment neuf. À Paris, le tribunal de grande instance devrait quitter le palais de justice, dans l’île de la Cité, pour être transféré sur un autre site dans la capitale. Un grand chantier parisien en perspective.
Frictions entre ministères
La réglementation sur la protection du patrimoine est contraignante et limite les possibilités d’extension des édifices. Beaucoup de palais de justice sont protégés et situés dans les secteurs sauvegardés des centres historiques urbains. À Aix-en-Provence, le site de l’ancienne prison, qui jouxte le palais de justice, a été retenu pour l’extension de celui-ci afin de regrouper l’ensemble des services de la cour d’appel. Entre-temps, la direction du Patrimoine a classé les murs extérieurs, une contrainte supplémentaire pour les architectes lauréats, Jean-Loup Roubert et Jean-Michel Battesti, qui devaient également tenir compte des besoins en surface de la cour d’appel.
Les inspecteurs des Monuments historiques se montrent assez sourcilleux à l’égard des projets de réhabilitation du patrimoine, au point d’agacer parfois le ministère de la Justice. Les frictions entre les ministères de la Justice et de la Culture ont rendu impossible l’utilisation de l’ancienne prison destinée à l’extension du palais de justice de Montpellier. Le projet était de détruire cette maison d’arrêt pour y élever à la place une construction moderne. Mais à l’époque, la direction du Patrimoine a décidé de classer la maison d’arrêt comme exemple de l’architecture pénitentiaire du XIXe siècle. "Nous ne savons pas pour l’instant quoi faire de ce bâtiment. On y entrepose des archives, mais l’espace est sous-utilisé", remarque René Eladari. La construction d’une cité judiciaire a finalement été projetée sur un autre site en centre ville, à proximité du palais de justice.
1 250 juridictions
Depuis 1987, l’État est propriétaire de l’ensemble des équipements de justice, soit 1 250 juridictions localisées dans près de 800 sites. Jusque-là, il ne possédait que les cours d’appel. Les communes étaient propriétaires du patrimoine des juridictions du second degré (tribunal d’instance, de commerce, prud’hommes…), et les collectivités locales de celui des juridictions du premier degré (tribunal de grande instance et assises). Paradoxalement, c’est grâce à la loi sur la décentralisation de 1987 que le transfert de propriété a eu lieu. Cependant, le jour où l’État décide de ne plus employer un bâtiment pour l’exercice de la justice, celui-ci revient de plein droit à la commune ou à la collectivité locale.
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La Justice rajeunit ses palais
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°27 du 1 juillet 1996, avec le titre suivant : La Justice rajeunit ses palais