Pour faire revivre l’esprit de ce rendez-vous incontournable des Années folles à Paris, un particulier transforme les lieux en salle de concert.
PARIS - Les travaux ont débuté à la mi-avril au 33 de la rue Blomet, dans le 15e arrondissement de Paris. Pour les habitants du quartier, le « 33 Latino » – club-restaurant aux accents antillais qui tombait en décrépitude depuis sa fermeture en 2005 – n’était que le dernier avatar d’un lieu inoubliable des Années folles. Nouveau propriétaire et maître d’ouvrage du chantier programmé sur 18 mois, Guillaume Cornut a la ferme intention d’y faire revivre le Bal Blomet, rentré dans l’histoire sous le surnom de Bal Nègre.
L’adresse est devenue célèbre dans les années 1920, lorsque dans l’arrière-salle de ce qui est alors un bar-tabac, Jean Rézard des Wouves, candidat antillais à la députation et pianiste, a pris l’habitude de s’installer au piano après ses meetings de campagne. Très vite, le hangar à toiture vitrée construit dans les années 1880 se mue en bal populaire, où Martiniquais et Guadeloupéens de la capitale se retrouvent pour danser la biguine. À deux pas de là, au 45, rue Blomet, se nichent en fond de cour d’un vieil immeuble les ateliers d’André Masson et Joan Miró. C’est là que se retrouve « le cénacle de la rue Blomet » fréquenté par les têtes de pont du surréalisme. Le Bal Nègre voit donc débarquer, en bons voisins, Masson, Miró, mais aussi Pablo Emilio Gargallo, Robert Desnos, Antonin Artaud, Ernest Hemingway, Francis Scott Fitzgerald, Pablo Picasso, Man Ray, Max Ernst, Juan Gris, Jean Arp, Jean Dubuffet, Joséphine Baker, Alexandre Calder, Gertrude Stein… Dans ce Paris des Années folles, artistes et écrivains n’hésitaient pas à venir s’encanailler aux sons nouveaux de l’orchestre alternant rythmes chaloupés antillais et jazz américain. Fermé par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, le lieu ne retrouvera jamais de sa superbe, malgré la présence des figures de Saint-Germain-des-Prés, comme Juliette Gréco, Albert Camus, Simone de Beauvoir ou Merleau-Ponty dans les années 1950. À la suite de plaintes pour nuisances sonores, l’endroit redevient un bistrot dans les années 1960, puis un club de jazz à la fin des années 1980. Enfin, le « 33 Latino » ne résiste pas à la mobilisation du voisinage encore gêné par le bruit. Une société d’expertise-comptable rachète l’édifice pour le transformer en bureaux et suit les recommandations formulées par les Architectes Bâtiments de France (ABF). Mais le projet présenté en 2010 à la Commission du vieux Paris n’est pas validé. La mairie du 15e arrondissement renchérit avec le souhait de voir perpétuer la vocation culturelle et artistique de cet ensemble typique de l’ancien village Vaugirard, protégé par le plan local d’urbanisme (PLU).
Le réveil d’une institution
Le projet de l’ancien trader et pianiste-concertiste Guillaume Cornut de redonner au lieu sa vocation première, donc de salle de concert, bénéficie du soutien des autorités locales. Fin 2015, le 33, rue Blomet devrait ouvrir sous le nom officiel de Bal Nègre et proposer une programmation éclectique, allant du classique au jazz en passant par la comédie musicale, dans l’ambiance décontractée d’un cabaret. Si, conformément aux recommandations des ABF, l’aspect extérieur de la maison villageoise sera préservé, l’architecte Samuel Zagury a imaginé de recréer l’ancienne salle de bal en sous-sol, tout en conservant le détail de la coursive qui donnait au lieu son cachet. Au rez-de-chaussée et à l’étage, un café d'ambiance années 1920 ouvrira en journée et permettra l'accès le soir à la salle de cabaret, tandis que le hangar, autrement dit la salle de bal historique dont il ne subsiste aucune information sur l’état original, sera transformé en logements. Seuls deux éléments patrimoniaux seront conservés : une très belle rampe d’escalier en fer forgé, qui reliera désormais le rez-de-chaussée au sous-sol, ainsi qu’une frise en plâtre Art déco figurant des instruments de musique qui sera restaurée.
Cet hommage à un patrimoine plus immatériel que matériel, vient inverser la tendance d’une relative négligence des pouvoirs publics pour la mémoire des artistes de l’École de Paris dans le 15e arrondissement de Paris – le 14e a ouvert un musée associatif non loin des ateliers d’artistes rasés dans les années 1950 pour le projet d’une nouvelle gare. Les ateliers de la Ruche ont échappé à la destruction dans les années 1970 grâce à la mobilisation des artistes, et la sculpture en bronze qui orne le square venu remplacer l’immeuble vétuste du 45, rue Blomet est un cadeau à la Ville de Joan Miró en hommage à Robert Desnos. Les initiatives privées que sont le Musée Mendjisky (lire ci-dessous) et bientôt le Bal Nègre (financé intégralement par Guillaume Cornut) démontrent que les artistes sont les premiers à entretenir la mémoire de leurs pairs.
Il y a la première École de Paris, datant de la première vague d’immigration des artistes venus d’Europe centrale dans les années 1900, et installés à Montparnasse. La seconde École de Paris fait référence à ces artistes de l’après-guerre qui tentaient de tenir la dragée haute aux artistes américains, tenants de l’abstraction. Originaire de Lodz (Pologne), Maurice Mendjisky (1890-1951) est l’un des premiers artistes à intégrer la Ruche, dans le 15e arrondissement. En avril dernier, le peintre et galeriste Serge Mendjisky (le fils de Maurice, né en 1929) et son épouse Patricia ont inauguré, dans un ancien atelier d’artiste construit par Mallet-Stevens, un musée consacré à ces deux écoles. La collection, constituée des œuvres de Maurice et Serge, compte s’étoffer par le biais d’acquisitions et de donations.
Musée Mendjisky-Écoles de Paris, 15 Square de Vergennes, 75015 Paris, tél. 01 45 32 37 70, www.fmep.fr
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La future renaissance du Bal Nègre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°414 du 23 mai 2014, avec le titre suivant : La future renaissance du Bal Nègre