Au cours des quinze dernières années, quelques-uns des plus importants chefs-d'œuvre du patrimoine artistique international ont été restaurés. Dans une étude retentissante, publiée cet automne, Beck et Daley mettent en cause la restauration, accusée d'être une science sans conscience. En partant de cinq cas concrets de restauration, le JdA a demandé à Helen Glanville et Géraldine Guillaume Chavannes de présenter le point de vue des restaurateurs.
Beck et Daley : De la même façon que la chapelle Sixtine. La restauration a enlevé du volume et déséquilibré certaines zones. L’approche et l’esprit de ces deux interventions sont radicalement différents. Dans la chapelle Sixtine, le nettoyage a consisté à purifier l’œuvre, tout en respectant la fine couche de poussière qui s’était incorporée à la surface des fresques durant le processus de carbonatation, survenu dès les premières années. En raison de la présence de plusieurs "mains" dans l’exécution de la chapelle Brancacci, en particulier l’ajout des deux têtes peintes par Filippino Lippi, cinquante ans plus tard, dans la Résurrection du fils de Théophile par Masaccio, les restaurateurs ont cherché à réduire graduellement les couches de saleté et de dépôts de surface, afin de retrouver la lisibilité de l’original, tout en prenant garde à ne pas déséquilibrer les parties. D’où le choix nécessaire d’un nettoyage sélectif des différentes couches de saletés.
Cesare Brandi définit le nettoyage "comme étant un acte d’interprétation critique", et l’approche choisie pour celui de la chapelle Brancacci en est un exemple concret. Ornella Casazza, qui a dirigé la restauration, estime que cette approche critique est nécessaire à la préservation des relations entre les différents plans de la perspective. Un nettoyage excessif ou un enlèvement des dépôts de surface aurait entraîné une distorsion de la perspective, en mettant au premier plan certains éléments architecturaux apparus ainsi "plus clairs".
Adam et Ève sans feuilles de figuier ?
Beck soutient que la feuille de figuier qui voilait Adam dans Adam et Ève chassés du Paradis terrestre, à défaut d’être de la main de l’artiste, participait de son intention. En l’enlevant, les restaurateurs ont privé, dit-il, la scène, de sa "profondeur psychologique". Avant la restauration, il voyait "Adam, les dents presque serrées, dissimulant son visage dans ses mains, désespéré d’avoir été chassé du jardin d’Éden." À présent, Adam – comme un enfant qui vient de perdre son innocence – couvre ses yeux par honte de sa nudité. La réponse à cette accusation est simple. Dans son Trattato della Pittura de 1652, Pierre de Cortone se réfère précisément à la nudité des personnages de Masaccio.
Beck affirme que le feu qui a ravagé l’église du Carmine en 1771 "est supposé être responsable de l’aspect actuel des fresques". L’analyse des coupes sous fluorescences de rayons X l’a confirmé. Les pigments de terre, comme l’ocre jaune ou la terre verte, changent de couleur lorsqu’ils subissent une chaleur d’environ 300° C, et deviennent rougeâtres. Ce qui peut expliquer la différence dans la couleur du sol sous les pieds d’Adam et Ève, mais aussi le déséquilibre entre les éléments de la composition dans le Paiement du tribut : la robe de saint Pierre, à gauche du Christ, devait être jaune à l’origine, et le fond devait être peint de nuances vert pâle. L’ombre projetée par les apôtres devait ainsi paraître plus accentuée et la scène dans son ensemble beaucoup plus cohérente spatialement.
La zone de ciel derrière Adam et Ève est un autre exemple d’altération irréversible : des restes d’azurite situés au niveau de l’encadrement de la porte, sur le gris-bleu pâle de l’ensemble du ciel, indiquent que ce dernier devait avoir, à l’origine, une couleur similaire à celle qu’il a dans le Paiement du tribut, et qu’il a dû être réalisé a secco sur la préparation de la fresque.
La différence évidente de couleur entre les giornate successives – une giornata représente le travail accompli en un jour sur une unité de surface préalablement enduite de plâtre – est probablement due au fait que le pigment utilisé est du smalt, dont la couleur dépend de la taille de ses particules. Grossièrement broyé, le smalt garde sa couleur, tandis qu’il paraît grisâtre lorsque la mouture est fine. Il est possible que l’assistant chargé de broyer et de préparer les pigments ait varié les temps de broyage d’un jour à l’autre.
Beck a parfaitement raison de penser que cette distinction n’a probablement pas été voulue par Masaccio : elle devait être masquée par l’application, a secco, de l’azurite. Il ne fait pas de doute que la distinction aujourd’hui très nette entre les giornate est gênante.
Cependant, la non-intervention – ce que Beck aurait préféré, en vérité, pour tous les exemples présentés dans ce livre – est un moyen très efficace de continuer à masquer les altérations sous-jacentes.
Le professeur Beck reconnaît aux restaurateurs le souci d’authenticité historique, comme l’enlèvement des bosquets et des feuillages, repeints dans le Paiement du tribut. Mais il n’accepte pas la combinaison de deux approches différentes dans la même œuvre. Ainsi, les feuilles peintes ont été supprimées définitivement, alors que les auréoles ont été enlevées et reconstituées.
Or, la différence entre les deux interventions réside dans le fait que ces feuilles recouvraient la peinture originale, ce qui est un procédé interdit par l’éthique de la restauration. À l’opposé les auréoles restaurées ne recouvraient aucune partie originale.
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La Chapelle Brancacci
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : La Chapelle Brancacci