METZ
L’église la plus vitrée de France, avec ses vitraux qui s’échelonnent du XIIIe au XXe siècle, fête cette année les 800 ans de sa fondation. L’occasion de redécouvrir cet édifice affichant une rare unité stylistique.
Accrochée à la colline Sainte-Croix, la cathédrale de Metz domine la cité mosellane. Ses dimensions colossales lui confèrent une place à part dans le paysage urbain, et même au-delà, car elle est visible depuis l’autoroute et le mont Saint-Quentin. L’édifice, consacré à saint Étienne, est d’ailleurs le site le plus visité de la ville avec quelque 700 000 visiteurs par an. Ce monument rayonne littéralement sur la ville grâce à sa lumineuse pierre de Jaumont à l’éclat doré si caractéristique. Et ce depuis près de huit siècles puisqu’on commémore cette année le jubilé de sa fondation, autorisée par le pape Honorius III en 1220. Cet édifice occupe aussi une place privilégiée dans l’imaginaire des Messins qui l’ont joliment rebaptisé « la lanterne du bon Dieu » en raison de son exceptionnelle surface vitrée. Jugez un peu : ses vitraux occupent 6 500 m2 ! Ce qui en fait tout simplement l’église la plus vitrée de France et l’une des plus importantes du monde chrétien. À titre de comparaison, les vitraux de la cathédrale de Chartres ne représentent « que » 2 600 m2.
Une démesure que l’on retrouve aussi dans les mensurations de la vieille dame. Avec une hauteur de 42 m sous voûte, c’est en effet l’édifice le plus haut de l’Hexagone après Beauvais et Amiens. Les autres dimensions sont à l’avenant. Avec 123 m de long, elle est ainsi presque aussi longue que Notre-Dame de Paris à quatre mètres près, mais nettement plus large. Malgré cette stature imposante, le visiteur est surtout frappé par la délicatesse de son architecture et les incessants jeux de lumière et de couleurs. Fait rarissime, ses vitraux s’échelonnent du XIIIe au XXe siècle et font cohabiter Hermann de Münster, Chagall et Bissière. Autre singularité, le monument possède une surprenante cohérence stylistique. Ralentie par des problèmes financiers et une instabilité politique qui interrompent le chantier, sa construction a en effet duré plus de trois siècles ! Et pourtant la cathédrale affiche une impressionnante unité puisqu’elle est essentiellement constituée d’éléments typiques du gothique flamboyant. Si les colonnes sont relativement peu ornées pour accentuer la puissance de l’élévation, la sculpture monumentale se déploie à profusion à l’extérieur. À commencer par les façades et les portails ornés de statues et de tympans ouvragés mais aussi de décors plus atypiques comme le portail Saint-Étienne. Ce dernier narre dans la pierre le mythe fondateur du christianisme à Metz. Selon la légende, le Graoully, un dragon caché dans les ruines de l’amphithéâtre, terrorisait les habitants jusqu’à ce qu’il soit terrassé par saint Clément, envoyé par saint Pierre pour évangéliser la cité.
Terre d’empire, région stratégique au cœur de l’Europe, Metz change plusieurs fois de « nationalité » au cours de son histoire. La cathédrale, monument phare, porte évidemment les traces de cette histoire. Au XVIIIe siècle, alors que Metz n’a intégré le royaume de France que depuis quelques décennies, on décide ainsi de la franciser. On remodèle drastiquement l’édifice pour gommer sa silhouette gothique au profit d’un style dans l’air du temps : le néoclassicisme. L’architecte Blondel redessine la place jouxtant la cathédrale et le sanctuaire est dissimulé par une série d’arcades habillant le tiers inférieur du monument. Paradoxalement, l’architecture originale doit son retour en grâce à une catastrophe et à l’intervention d’un Viollet-le-Duc prussien. Redevenue allemande après l’annexion, Metz est la vitrine du Reich. En 1877, elle accueille en grande pompe l’empereur Guillaume Ier. Des employés municipaux zélés tirent un feu d’artifice pour célébrer cette visite. L’une des fusées termine hélas sa course dans la toiture de la cathédrale qui s’embrase comme un fétu de paille. L’intérieur est miraculeusement épargné, mais la charpente et la couverture sont anéanties. Pour éviter un nouveau sinistre et rebâtir rapidement, l’architecte en charge des travaux, le Prussien Paul Tornow, propose une solution d’avant-garde : remplacer la charpente en chêne par une charpente métallique, inspirée des structures industrielles qui fleurissent alors dans les gares. Cette charpente est par ailleurs couverte d’un toit non pas d’ardoise, comme par le passé, mais en cuivre. Un matériau produit en grande quantité à l’époque en Allemagne qui est donc moderne et économique. L’architecte profite par ailleurs du chantier pour lancer d’autres travaux, de nature plus esthétique, pour rendre à l’ensemble son caractère gothique. Il retire les adjonctions du XVIIIe siècle et fait notamment reconstruire des éléments emblématiques comme le portail de la Vierge, qui prend une allure toute néogothique. Pour accentuer la verticalité et la monumentalité de l’édifice, l’architecte proche des idées de Viollet-le-Duc fait surélever et rebâtir de manière plus pentue le toit. Ironie de l’histoire, son rêve jamais exaucé faute de budget était de le couronner d’une flèche inspirée de celle de Notre-Dame de Paris !
Pour fêter son dixième anniversaire et le jubilé de la cathédrale Saint-Étienne, le Centre Pompidou-Metz prépare une grande exposition dédiée à Marc Chagall. Cet événement au propos inédit met en exergue la place de premier ordre qu’occupent le vitrail et plus largement la lumière dans l’œuvre du célèbre artiste moderne. L’importante production de vitraux de Chagall est soulignée par la réunion des maquettes des projets réalisés à Metz, Reims, Mayence, mais aussi en Israël et aux États-Unis. Ces maquettes, rassemblées pour la première fois, sont présentées en regard de peintures, sculptures, céramiques et dessins, provenant du Centre Pompidou, du Musée national Marc Chagall de Nice mais aussi de musées internationaux et de collections privées. Ce vaste ensemble met en évidence les différentes techniques et les multiples répertoires sacrés comme profanes explorés par Chagall. La sélection d’œuvres souligne par ailleurs la manière dont le peintre a sans cesse entremêlé dans ce médium les références à l’histoire collective, sa trajectoire intime et les symboles humanistes et mystiques.
Isabelle Manca
« Chagall. Le passeur de lumière »,
du 21 novembre 2020 au 15 mars 2021. Centre Pompidou Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, Metz (57), www.centrepompidou-metz.fr
Ce maître-verrier allemand est l’auteur de la verrière occidentale et notamment de sa spectaculaire rose affichant onze mètres de diamètre. Cet ensemble couronnant le grand portail, réalisé à la fin du XIVe, est emblématique du style gothique international avec ses personnages aux attitudes souples et aux visages gracieux et expressifs. Preuve de la notoriété de cet artisan, il est le premier verrier à être mentionné dans les archives de la cathédrale et à obtenir le privilège d’y être enterré.
Valentin Bousch
Considéré comme le plus grand peintre verrier de la Renaissance lorraine, Valentin Bousch a profondément renouvelé son médium en introduisant des innovations plastiques et stylistiques qu’il a ramenées de son séjour en Toscane. Ses vitraux de grand format sont immédiatement reconnaissables par leur composition imitant celle d’un tableau de chevalet. L’artiste qui signe plusieurs ensembles de la cathédrale dans le transept et le déambulatoire apporte un naturalisme et une vitalité inédite au vitrail.
Marc Chagall
L’œuvre la plus célèbre de la cathédrale a failli ne jamais voir le jour. C’est en effet Cocteau qui avait été pressenti pour concevoir les vitraux du transept. Son projet a été retoqué par les Monuments historiques et les responsables du chantier durent trouver au pied levé un autre artiste capable de relever ce défi. Chagall, qui avait déjà œuvré dans le déambulatoire, fit l’unanimité. Ses grandes baies bleues et jaunes comptent aujourd’hui parmi les plus beaux vitraux du XXe siècle.
Jacques Villon
Nettement moins connus que ceux de Chagall, les vitraux de Jacques Villon comptent pourtant parmi les chefs-d’œuvre modernes de la cathédrale. Ils témoignent d’une impressionnante maîtrise technique alors même que l’artiste ne s’était jamais frotté à ce médium auparavant. Ces cinq baies spectaculaires installées en 1957 dans la chapelle du Saint-Sacrement sont inspirées de l’Évangile de saint Jean. Elles frappent par leur sens de la narration, du mouvement mais surtout par leur puissance chromatique.
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La cathédrale Saint-Étienne de Metz
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°736 du 1 septembre 2020, avec le titre suivant : La cathédrale Saint-Étienne de Metz