Une fois par mois, nous invitons un conservateur à choisir dans la collection de son musée une œuvre qu’il souhaite mettre en avant et faire mieux connaître au public. Joëlle Mauerhan, conservateur du Musée du Temps, à Besançon, présente la montre de Jean Lépine (vers 1788-1790).
Lépine 5476, des mensurations de star, une technique de rêve.
5 cm de diamètre, un petit centimètre d’épaisseur, une forme pure, un graphisme travaillé : la montre est belle.
Mais cela ne suffit pas, car une montre, c’est avant tout ce qu’il y a dans la boîte. Et là, c’est magnifique. Inventif, nouveau pour son époque. Le mot génial n’apparaît pas trop fort. Pour moi, la montre idéale, l’idée de la montre, c’est la Lépine 5476.
Jean-Antoine Lépine a alors soixante-dix ans. Il est au sommet de son savoir et de ses possibilités créatrices. Depuis déjà vingt-deux ans, il a succédé à l’horloger Caron, dont il a épousé la fille. Caron a aussi un fils, également horloger, mais qui quitte vite le métier pour faire carrière au théâtre sous le nom de Beaumarchais...
Lépine a réalisé sa première montre en 1760 : petite et épaisse, elle descend en droite ligne de l’oignon mis au point par les horlogers français au milieu du XVIIe siècle ; son mouvement à deux platines correspond à une formule que l’on peut qualifier de classique, avec un encombrant échappement à roue de rencontre ; sa boîte est décorée d’une miniature, de pierreries ; de gros chiffres romains doublés d’un tour de chiffres arabes occupent le cadran.
Dix-huit ans plus tard, tout est dit. La 5476 est large, mince, sobre. La boîte, lisse et pure, brille doucement ; son anneau de suspension présente un dessin rigoureux. Sur le cadran, tout aussi épuré, une simple ronde de chiffres arabes, à pleins et déliés, s’inclinent pour suivre la courbe générale. Sophistication suprême, le chiffre 1 semblait un peu grêle : Lépine l’a entouré d’un léger cercle, afin qu’il tienne mieux sa partie dans le chant général. Les aiguilles sont celles que, quelques années plus tard, Bréguet popularisera : fines lances d’acier bleui garnies d’un cercle évidé à la pointe.
Et dans la boîte ? C’est la révolution. Une seule platine – la seconde étant remplacée par de simples ponts – et qui, de ce fait, autorise la minceur ; l’échappement à ancre, en or, une nouveauté de l’époque. Et les innovations se multiplient : pare-chocs, compensation thermique, forme des dents des roues… Arrêtons là, car le vocabulaire de spécialistes devient pesant. Affirmons simplement que la synthèse est réussie entre l’esthétique et les innovations techniques, par une même recherche de simplification et de sobriété.
Jean-Antoine Lépine œuvre dans les années charnières de la fin du XVIIIe siècle, aux côtés de personnalités comme Berthoud, Leroy ou Breguet en France, Harisson en Angleterre. Ensemble, ces horlogers participent aux recherches qui font de l’horlogerie une technique de pointe. Ils trouvent les solutions pour répondre au changement des besoins, à la demande d’un produit efficace s’éloignant du bijou. À l’arrière-plan de leurs productions, se devinent les démarrages de l’industrialisation horlogère, d’abord en Suisse puis en France (à Ferney-Voltaire puis à Besançon). Ils ouvrent la porte à la montre “moderne” qui se développera au siècle suivant.
La Lépine 5476 est magnifique car elle est le produit de ce moment d’équilibre, moment rare, exceptionnel, qui suscite l’émotion.
Elle est entrée dans les collections du musée en 1999, avec quarante-quatre autres montres représentatives du travail de Jean-Antoine Lépine, par achat au collectionneur Adolphe Chapiro. Il s’agissait pour le musée d’une importante acquisition, destinée d’une part à constituer un nouveau pôle dans sa collection phare – les montres –, d’autre part à renforcer le fonds consacré à cette période capitale de l’histoire de l’horlogerie.
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Joëlle Mauerhan
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°173 du 13 juin 2003, avec le titre suivant : Joëlle Mauerhan