Une fois par mois, nous invitons un conservateur à choisir dans la collection de son musée une œuvre qu’il souhaite mettre en avant et faire mieux connaître au public. Jean-Jacques Fernier, conservateur du Musée Gustave-Courbet, à Ornans, présente
La Papeterie d’Ornans (1865) de Gustave Courbet.
Dans la maison natale que les admirateurs de Gustave Courbet donnèrent avec ses collections au département du Doubs, un ensemble d’œuvres chargées d’émotion racontent l’homme si attaché à son pays, la vallée de la Loue. Certes, il n’y a pas, à Ornans, d’œuvre maîtresse de Courbet : L’Enterrement à Ornans et L’Atelier sont au Musée d’Orsay, le Metropolitan de New York et le Musée Fabre de Montpellier se partagent la plupart des autres toiles. Même L’Origine du monde, disparue depuis 1910, redécouverte à Ornans en 1991, est aussi à Orsay malgré les vœux de sa dernière propriétaire.
La belle demeure du XVIIIe siècle, l’hôtel Hébert, à Ornans, où naquit Courbet, est située au bord de la rivière, face au décor de L’Enterrement à Ornans, son célèbre tableau-manifeste. Dans une petite pièce d’angle aux deux fenêtres qui s’ouvrent sur la rivière, j’ai placé des peintures qui racontent le site, à quelques mètres de là. L’une d’elles contient, en plus, tout l’amour d’une donatrice. Elle m’avait appelé pour l’offrir aux Amis de Courbet : c’était un vœu de son père, chineur à l’hôtel des ventes, à Paris, qui l’avait acquise avant guerre à un prix si misérable qu’il s’était refusé à en tirer profit. Au moment de me remettre l’œuvre, elle s’arrêta, réfléchit un instant puis, se tournant vers le mur de son salon, décrocha quelques tableaux supplémentaires : “Prenez aussi ce Diaz, une Baigneuse, et ces deux Lebourg, des bords de Seine. Comme cela, le Courbet ne s’ennuiera pas !” Son Courbet, La Papeterie d’Ornans (1865) était, lui, un hommage du peintre à sa petite patrie, où il revenait chaque automne retrouver les siens, peindre, boire et chasser. À cette époque, la mutation de la société marquait la défaite de vieux métiers : celui de la vigne bientôt, mais déjà celui de la roue à aube, qui avait si longtemps transformé la haute vallée de la Loue en une éphémère Silicon Valley. Avant, partout, de la Source jusqu’à Ornans, clouteries, brosseries, moulins se succédaient le long de la rivière. En 1865, la dernière papeterie du lieu allait disparaître. En montrant l’homme au travail sur sa roue de moulin foulant son papier au fil du ruisseau, Courbet, fidèle à ses convictions, témoigne du labeur artisanal de cette société rurale en disparition. Émouvante et prémonitoire représentation du réel, car aujourd’hui tout a disparu : la maison, la roue à aube, le canal en bois, la chute d’eau. Même ce ruisseau de Bonneille, en aval du village d’Ornans, n’est plus qu’une vague trace dans le paysage.
Dans le petit cabinet d’angle de l’hôtel Hébert, j’ai la fierté de dire aux visiteurs que le musée est l’unique musée monographique où l’on puisse admirer, sur la cimaise, ce qu’on peut voir par la fenêtre. Ni le Musée Van Gogh, à Amsterdam, ni celui de Gauguin, à Tahiti, ni le Giverny de Monet ne le peuvent. Ornans, si !
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Jean-Jacques Fernier
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°177 du 26 septembre 2003, avec le titre suivant : Jean-Jacques Fernier