Une fois par mois, nous invitons un conservateur à choisir dans la collection de son musée une œuvre qu’il souhaite mettre en avant et faire mieux connaître au public. Hélène Moulin-Stanislas, conservateur au Musée de Valence, présente Intérieur du Colisée (1759) de Hubert Robert (1703-1808).
Les Hubert Robert du Musée de Valence forment avec ceux du Musée du Louvre et du Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, la collection la plus importante d’œuvres de cet artiste conservée dans un musée.
C’est Julien Victor Veyrenc qui, le 23 mars 1836, fit don à la Ville de Valence, pour son musée en cours de constitution, des 97 dessins à la sanguine qui constituent cette exceptionnelle collection ; collection que le musée s’est attaché à développer depuis vingt ans et qui, grâce à l’aide du Fonds régional d’acquisition pour les musées, a pu s’enrichir d’une dizaine de peintures et de plusieurs grandes aquarelles traversant, de 1756 à 1795, quarante ans de l’œuvre de l’artiste.
C’est au cours de son séjour en Italie, de 1756 à 1765, qu’Hubert Robert se passionne pour l’Antiquité et ses vestiges. Pendant ces dix années romaines, toutes les facettes de son art vont se forger, avec la découverte des grands maîtres italiens du paysage de ruines : Pannini (1691-1765), professeur de perspective à l’académie, peintre des ruines, architectures et festivités romaines, et Piranèse (1720-1778), architecte, archéologue, graveur des ruines de Rome. Avec aussi celle des grands sites archéologiques remis au goût du jour, Pompéi, Paestum, Herculanum. Avec enfin les promenades romaines où il découvre les ruines de la Rome antique des Césars, les architectures monumentales de la Rome des papes, mais aussi la nature somptueusement disciplinée des villas de la campagne de Rome, Tivoli et Ronciglione, qu’il parcourt avec Natoire, Fragonard ou l’abbé de Saint-Non.
Il accumule alors esquisses et croquis qui, plus tard, en France, “réinventés”, feront de lui un des maîtres du “paysage de ruines à caractère sentimental et décoratif” et lui vaudront le surnom de “Robert des Ruines”.
Ainsi, le Colisée, l’édifice sans doute le plus prestigieux et le plus monumental de la Rome antique, a inspiré à Hubert Robert un grand nombre d’œuvres. Le Musée de Valence en conserve à lui seul sept, réalisées par l’artiste tout au long de sa carrière, sur place à Rome tout d’abord puis, d’après ses souvenirs à son retour en France en 1765 : l’Intérieur du Colisée en 1759, Les Dessinateurs au Palatin vers 1761-1762, Les Découvreurs d’antique (dessin et peinture) vers 1765, Vue prise des Thermes de Titus vers 1774, Le Dessinateur du vase Borghèse vers 1775, Au Colisée vers 1775.
Dessiné par Hubert Robert en 1759, cinq ans après son arrivée à Rome, Intérieur du Colisée figure sans doute parmi les plus impressionnantes réalisations du séjour italien de l’artiste.
Le Musée du Louvre conserve une petite peinture très similaire à cette sanguine, qui pourrait donc en être une version préparatoire, tant la “sensation” du dessin et de la peinture y sont proches, cela même si Hubert Robert en a modifié les dimensions (plus petites dans la peinture) et la forme (verticale pour le dessin, horizontale pour la peinture), opposant ainsi ombre et profondeur dans la peinture et lumière et verticalité dans le dessin.
L’artiste a choisi d’évoquer ici le Colisée tel qu’il a pu le découvrir, gravement endommagé par le tremblement de terre de 1703, en certains lieux encore à demi enfoui dans la terre, et laissant entrevoir, dans la percée de lumière de l’ouverture, l’arc de Constantin. Étrangement, le point de vue choisi par Hubert Robert est ici rigoureusement exact. Il s’agit de la galerie extérieure nord-ouest, parfaitement identifiable à ses pilastres et bandeaux.
Cet Intérieur du Colisée est très emblématique des dessins des premières années romaines de Hubert Robert, et frappe par la modernité de son approche, que l’on retrouve dans d’autres sanguines datant des mêmes années, telles la Grotte à Cervara et La Rotonde souterraine du palais Farnese à Caprarola, à découvrir également à Valence.
On y trouve déjà les principes de dessin et de structuration de l’espace le plus souvent utilisés par Hubert Robert. Dessin dont les lignes soulignent les structures et contours de l’architecture. Assise et cadrage de la composition par un élément architectural (ici la moitié d’un pilastre) placé sur l’un des bords de l’œuvre. Monumentalité et théâtralité de la composition accentuées par une vision ascendante, par la masse sombre du premier plan et par la petitesse des personnages. Démultiplication du cadrage et de la perspective, à l’intérieur même du dessin, par les cintres des voûtes.
Mais c’est surtout par une utilisation sensible, à la fois maîtrisée et fougueuse de la sanguine, et dans un jeu contrasté du dessin, de la couleur et de la matière que Hubert Robert le caractère monumental du lieu, à la fois naturel et abandonné mais déjà redécouvert par l’homme. Un jeu rapide de larges hachures (simple geste du poignet), plus ou moins denses et appuyées (légères et peu appuyées au centre, denses et très marquées sur les bords), superposées à quelques lignes verticales structurant la composition et le cadrage et permettant d’identifier le lieu. Hubert Robert parvient ainsi à redonner tout à la fois la matière de la pierre, la vibration de la lumière effleurant la voûte, la profondeur et le volume courbe de la galerie, la verticalité de la composition enfin, encore accentuée par l’espace laissé blanc au bas de la feuille.
La seule lumière naturelle, qui semble comme jaillir de l’ouverture de la galerie presque centrée et des arcades ouvertes sur la droite, conduit le regard du spectateur à la découverte de l’œuvre et du dessinateur assis en bas à droite du dessin, au pied du pilastre qui campe la composition. Hubert Robert s’est en effet souvent représenté dans ses dessins, assis par terre, un carton à dessin sur les genoux, choix d’attitude qui explique sans doute la vision ascendante accentuant, comme ici, la monumentalité des architectures dessinées par l’artiste. Monumentalité encore renforcée par la présence des deux minuscules personnages rapidement esquissés à contre-jour ; espace théâtralisé par les jeux contrastés de l’ombre et de la lumière et par l’exagération du volume de la voûte qui occupe près de la moitié de la feuille.
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Hélène Moulin-Stanislas
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°165 du 21 février 2003, avec le titre suivant : Hélène Moulin-Stanislas