Dans leur quête de sponsors, les musées en sont-ils arrivés, au mépris de l’éthique, à sacrifier leur liberté d’action et de pensée ? Aux États-Unis, l’épisode de « Sensation » et des exemples récents de situations litigieuses conduisent les conservateurs à réfléchir sur les limites du financement privé.
NEW YORK (de nos correspondants) - 168 000 dollars (environ 1 million de dollars) ont été versés par Charles Saatchi pour l’exposition de ses œuvres au Musée de Brooklyn ; il a ainsi pu procéder lui-même au choix et à l’installation des pièces présentées dans “Sensation”. Christie’s a, pour sa part, versé 50 000 dollars (environ 300 000 francs), et des documents révèlent que la maison pensait organiser une vente des œuvres montrées à New York. Participant par exemple, à hauteur de 10 ou 20 000 dollars, à la publication de catalogues du Metropolitan Museum of Art, l’auctioneer a déjà soutenu des manifestations dans d’autres musées. “Regardez l’exploit accompli par Christie’s et Saatchi pour une somme fort modeste : un faible investissement pour une visibilité très large. La démarche est commerciale, certes, mais il n’y a aucun mal à cela. Il devrait exister un rapport sain”, commente James Abruzzo, de la société new-yorkaise A.T. Kearny. Conseiller d’affaires auprès d’entreprises commerciales ou d’institutions à but non lucratif, il considère l’art contemporain comme une bonne affaire pour les sponsors et prévoit l’arrivée dans ce domaine de plus en plus d’entreprises liées à la mode ou à l’Internet.
Des exemples récents lui donnent raison. Présenté en 1998 au Guggenheim de New York, “The art of motorcycle” soulève une question comparable : le soutien de BMW a-t-il permis au fabriquant de motos de figurer en couverture du catalogue ? Quant à l’exposition actuelle de 250 modèles de Giorgio Armani dans la spirale construite par Frank Lloyd Wright, elle a été annoncée après que le couturier se fut engagé, par un don de cinq millions de dollars (environ 30 millions de francs), à aider le musée pendant cinq ans.
Directrice de l’Association américaine des directeurs de musées, Mimi Gaudieri reconnaît que plusieurs membres se sont inquiétés du don d’Armani au Guggenheim, et de celui de 500 000 dollars (environ 3 millions de francs) de Shiseido à la Grey Art Gallery, alors que le musée prépare une exposition consacrée à la marque de cosmétiques. Ces financements ont même fait l’objet d’une récente réunion de l’association. La rédaction d’un guide d’éthique pourrait prendre plus de six mois. Simultanément, l’Association américaine des musées, dont le siège est à Washington, a créé un comité spécial chargé de rédiger des recommandations sur le sujet. Des responsables politiques, comme le maire de New York, se disent choqués par l’attitude des sponsors, mais les musées sont souvent mis au pied du mur par ces mêmes politiques, responsables des coupes budgétaires. Aux États-Unis, les professionnels estiment que l’émergence d’un conflit d’intérêts lors de l’“affaire Sensation” pourrait être l’occasion d’une régulation du mécénat, et suggèrent le contrôle de toute donation supérieure à 250 000 dollars.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°102 du 31 mars 2000, avec le titre suivant : Financement intéressé