Fondé à SoHo en 1977 par Marcia Tucker, le New Museum of Contemporary Art est le seul musée new-yorkais consacré uniquement aux artistes vivants. L’ambition de sa directrice était de créer un musée différent de tous ceux qui existaient déjà : il devait être plus démocratique, moins hiérarchique, plus proche des artistes et du public, et ne pas posséder de collection permanente, avec l’obligation de revendre les œuvres dix ans après leur acquisition. Si elle a aujourd’hui cédé son poste à Lisa Phillips, Marcia Tucker reste impliquée dans la programmation. Elle revient sur son expérience de vingt-deux ans à la tête du musée.
Dans quel contexte et avec quels objectifs avez-vous créé le Musée ?
L’idée était claire mais pas particulièrement simple. C’était l’époque de la récession et tous les grands musées new-yorkais prenaient de la distance vis-à-vis de l’art contemporain. Il m’a donc semblé nécessaire, en termes de musée et non seulement d’espace, de créer une organisation pour les artistes vivants, d’exercer une fonction éducative. Il existait bien des interviews d’artistes et des monographies sur leur œuvre, des expositions et des rétrospectives, mais aucune politique de publication d’essais critiques. Je désirais créer une institution qui fonctionne différemment. Je me suis donc retrouvée sur une corde raide entre des institutions monolithiques, qui ne changent jamais, et des espaces d’exposition gérés par des artistes, qui peuvent générer des idées nouvelles, mais ne possèdent ni les fonds ni les moyens permettant un travail théorique, critique et des activités éducatives.
Faites-vous allusion à une gestion du musée privilégiant l’histoire de l’art ou la théorie ?
Non, c’est le système d’entraide et d’action de groupes féministes, ainsi que des structures extérieures au monde artistique s’appuyant sur la collaboration entre des individus aux positions opposées qui m’ont inspiré l’organisation du musée. La collaboration reste à mon avis la meilleure façon d’apprendre ; vous connaissez toujours votre propre opinion. Cela fait des années que je dis qu’il y a deux façons d’organiser une exposition, selon une méthode didactique ou selon la technique de l’investigation. La première découle du siècle des Lumières, qui établissait une distinction entre le corps et l’esprit, la raison et l’émotion, privilégiant le rationnel aux dépens de l’intuition. La vérité est que nous nous focalisons sur quelque chose qui crée en nous une réponse émotionelle et devient par la suite une source d’idées nouvelles.
Les expositions du musée ont toujours été “anti-conformistes”, à la fois par leur sujet et par leur présentation. Était-ce votre intention de provoquer ?
Non, un tel objectif pour un commissaire d’exposition serait limitatif et à courte vue. En tant que directrice du musée, j’essayais de m’attaquer aux questions non résolues, à celles qui constituent un défi et auxquelles les spécialistes n’ont pas encore répondu. Je n’ai jamais eu l’intention de provoquer et, à vrai dire, je suis étonnée de voir jusqu’à quel point certaines personnes considèrent mes expositions comme une provocation et une confrontation.
Votre conception du musée est pourtant radicale et utopique.
Évidemment, je reconnais que je ne me suis jamais sentie bien dans une situation de statu quo, mais ce n’était pas le changement pour le simple plaisir du changement qui m’intéressait. Je cherchais à apprendre, à améliorer les choses, à les regarder sous un angle différent. À mes yeux, l’art contemporain, même dans ses aspects les plus difficiles, appartient au peuple, à tous ; il est né dans une société à laquelle nous appartenons tous. Il est présenté comme élitiste parce cela permet d’obtenir un soutien financier. C’est un mythe. Tout le monde comprend l’art contemporain, plus que les professionnels voudraient nous le faire croire et mieux qu’ils prétendent le faire. Tant que personne ne leur dit : “Vous n’avez pas assez de connaissances ; vous êtes incapables de nous dire ce que vous en pensez”, ni l’homme de la rue, ni les enfants n’ont peur de l’art. Prenez les enfants, quel que soit leur âge, quand ils regardent un tableau, même une œuvre de Reinhard, ils voient et comprennent ; ils sont profondément sincères. Je suis inquiète, la plupart des gens ont l’impression qu’ils ne font pas partie de ce monde. L’art, comme la musique, la littérature et la poésie, devrait être accessible à tous.
Vous avez parlé de la nécessité de déconstruire les musées, d’abolir les hiérarchies et d’éclater ses différentes fonctions. Mais il y a une question à résoudre, celle des collections. Pour créer un musée, il faut une collection. Sinon cela devient une galerie, du type Kunsthalle.
Oui, c’est un point essentiel. J’ai fait toute ma carrière dans les musées ; j’ai une formation des plus traditionnelles en histoire de l‘art, je n’ai donc jamais ignoré l’importance d’une collection. Mais je me suis toujours dit qu’il devait y avoir un autre moyen d’en constituer une. J’ai essayé de créer une collection semi-permanente, et par de nombreux aspects, ce fut un échec. Une collection provisoire peut être rassemblée tant qu’il n’existe pas de marché pour les objets que l’on recherche, mais vingt ans plus tard, un marché s’est constitué. Si, alors, un musée se met à acheter, ou pire, à vendre, il entre dans un système qui n’est pas très sain. C’était le moment de tout revoir, de décider si l’on changeait et comment. L’expérience est à long terme : même si tout le monde reconnaît qu’un musée se définit par sa collection, j’ai cherché à étudier quelles seraient les qualités d’un musée sans collection.
Des commentaires sur votre expérience ?
L’idée d’une institution sans hiérarchie s’est révélée irréalisable au fil des années. Les hiérarchies s’imposent naturellement à partir de différents degrés d’expérience, de différences de personnalité et d’aptitude à la communication, mais je reste très attachée à mon principe. Quant à la transparence de l’organisation, elle exige que tout le monde sache combien les autres gagnent, combien le musée reçoit et dépense, et que tout le monde participe à la création du programme de l’année à venir. C’est le travail du conservateur de dégager, parmi la quantité d’expositions possibles, celles qui répondront aux thèmes discutés. Mais prévoir une programmation en fonction du seul goût du conservateur ne se défend pas, tant d’un point de vue intellectuel, philosophique et politique que théorique.
New Museum of Contemporary Art, 583 Broadway, New York, tél. 1 212 219 1222.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°93 du 19 novembre 1999, avec le titre suivant : Expérience profitable