Après vingt ans de bons et loyaux services à la tête du département médiéval du Metropolitan Museum of Art, William D. Wixom a pris sa retraite, mettant fin à une carrière tout à fait remarquable. Cet homme discret, âgé de 69 ans, avait d’abord enseigné à la Fondation Barnes, dans sa ville natale de Philadelphie, avant de devenir conservateur adjoint du département des Arts décoratifs au Cleveland Museum. En 1979, il prend la direction de la prestigieuse collection d’art médiéval occidental du Metropolitan, où il organise un nombre record d’expositions et parvient à acquérir une quantité exceptionnelle de chefs-d’œuvre. Alors que le musée new-yorkais lui rend hommage jusqu’au 4 juillet, à travers l’exposition « Miroir du monde médiéval », nous avons interrogé William Wixom sur son action, sa politique d’acquisition et l’évolution du secteur des arts du Moyen Âge.
Au cours de votre carrière, le marché de l’art médiéval a-t-il été soumis à d’importants changements ?
Lorsque j’ai débuté à Cleveland, en 1958, les objets d’art médieval – même les pièces exceptionnelles – étaient nettement moins cotés que les peintures de maîtres anciens. Si la tendance persiste, un changement sensible s’est fait sentir après la vente de la collection Robert von Hirsch, en 1978. Peter Wilson, de Sotheby’s, avait su éveiller la curiosité pour cet ensemble qui comprenait plusieurs objets majeurs du Moyen Âge. Tous les grands musées occidentaux étaient intéressés, particulièrement les musées allemands qui travaillaient en collaboration et ont pu acheter tout ce qu’ils voulaient. Malgré ses efforts, le Metropolitan est reparti les mains vides, tandis que le Cleveland Museum s’est relativement bien débrouillé. Son directeur, Sherman Lee, avait en effet décidé de concentrer ses enchères sur des lots importants qui n’intéressaient pas les Allemands. Cette vente a marqué le point de départ d’une nouvelle gamme de prix pour les plus beaux objets du Moyen Âge, dont certains sont partis à plus de 2 millions de dollars. Aujourd’hui, par exemple, les manuscrits enluminés sont devenus inabordables pour de nombreuses institutions. Le Getty Museum est pratiquement le seul musée américain à pouvoir acheter de somptueux manuscrits complets.
Les musées américains et les musées européens ont-ils une approche différente du marché ?
Les musées américains se sont longtemps montrés davantage à l’affût, recherchant des pièces aussi bien chez les maisons de vente que chez les marchands, renommés ou nom. En Europe, on attendait plutôt de savoir si certains objets n’étaient pas interdits à l’exportation, pour ensuite tenter de les acheter, même si auparavant, on n’était pas vraiment intéressé. Tout cela a changé. Les Britanniques ont fait leur entrée dans le monde des ventes, comme en témoigne l’acquisition par le British Museum, à un prix astronomique, de la châsse de Limoges avec l’assassinat de Thomas Becket. Depuis quelques années, le Louvre se montre également très agressif sur le marché.
Comment avez-vous obtenu ce poste très convoité de conservateur des arts du Moyen Âge dans le plus grand musée américain ?
Philippe de Montebello m’a contacté juste après la vente von Hirsch et m’a dit : “Cleveland a réussi à acheter toutes les œuvres qu’il souhaitait dans la collection von Hirsch et le Met est reparti bredouille”. Et puis, après un long silence, il a ajouté : “Tu penses que tu pourrais t’installer ici ?” Après plusieurs discussions à New York, je lui ai proposé de venir me voir sur mon terrain. Je ne le connaissais pas très bien et je voulais savoir comment il appréhendait les œuvres d’art. Il m’a avoué par la suite qu’il avait eu l’impression de passer un examen, ce qui était le cas. Finalement, j’ai été nommé directeur du département des Arts du Moyen Âge et de l’annexe des Cloisters, avec le titre de président.
Quelles sont les spécificités des deux départements ?
Les Cloisters [au nord de Manhattan, ndlr] sont un “musée d’ambiance”, une tentative d’utiliser des éléments architecturaux d’époque pour rappeler, d’une certaine façon, à quoi ressemblait un monastère médiéval. Au contraire, le Metropolitan a une vocation encyclopédique : la section médiévale comprend non seulement le Moyen Âge occidental, mais encore des œuvres de l’âge du Bronze, des débuts du christianisme, de l’Empire byzantin ou de l’époque des grandes invasions. Avant mon arrivée au Metropolitan, les départements étaient trop cloisonnés, mais nous en avons fait, progressivement, une entité assez cohérente. Les aménagements auxquels j’ai travaillé aux Cloisters sont de premier ordre, mais il faudrait transformer les salles du musée : l’éclairage est à revoir, les espaces sont insuffisants et ne permettent pas d’organiser de petites expositions temporaires. Sans compter, chaque année, une anachronique crèche de Noël installée au centre de la salle principale, qui oblige à déplacer des œuvres de premier plan.
Quels autres changements faudrait-il opérer ?
Tout d’abord, il faut abandonner le terme d’“arts décoratifs”. C’est un terme que j’exècre. Il n’a pas sa place pour le Moyen Âge, où l’orfèvrerie, les objets en ivoire et les manuscrits enluminés sont des modes d’expression majeurs. Par ailleurs, les responsables de musées devraient enfin reconnaître une certaine intelligence à leurs visiteurs. Les indications des cartels doivent être à la fois succinctes et instructives, et non se limiter au niveau d’un élève de sixième.
Un médiéviste reconnu m’a confié ses doutes sur la formation actuelle des jeunes conservateurs. Partagez-vous ce sentiment ?
Je pense que l’enseignement utilise moins le potentiel des musées. À une époque, je voyais souvent défiler au Met professeurs et élèves. Aujourd’hui, c’est rare, ce qui laisse supposer que l’on accorde désormais plus d’importance aux reproductions. En revanche, les universitaires et les étudiants visitent davantage certaines expositions temporaires, comme “La Gloire de Byzance”. D’autre part, je reste dubitatif par rapport à la “nouvelle histoire de l’art”, qui a tendance, me semble-t-il, à élaborer d’abord les théories, puis à revenir aux œuvres pour les étayer. J’ai parfois l’impression que les hypothèses émises – quel que soit leur intérêt – ignorent les objets.
Jusqu’au 4 juillet, Metropolitan Museum of Art, 1000 Fifth Avenue, New York, tél. 1 212 879 55 00, tlj sauf lundi, vendredi et samedi 9h30-21h00.
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Entretien avec William D. Wixom
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°79 du 19 mars 1999, avec le titre suivant : Entretien avec William D. Wixom