SUISSE
L’entretien du parc immobilier religieux coûte cher aux Églises suisses. Une réflexion sur la désacralisation et la réaffectation de tels lieux est lancée à travers tout le pays.
Suisse. L’inventaire est impressionnant : 189 églises, 330 chapelles, des monastères et couvents de 33 congrégations, des institutions religieuses ; en tout, ce sont près de 900 bâtiments religieux que compte à lui seul le canton de Fribourg, région suisse de confession catholique. Un colloque organisé fin mars par les autorités cantonales et ecclésiastiques de la région tirait la sonnette d’alarme : comment entretenir et maintenir en état cet imposant patrimoine immobilier ? Et ce, dans un contexte général de baisse de la pratique religieuse, et donc de baisse de revenus pour les Églises chrétiennes de Suisse qui sont financées par le biais de l’impôt confessionnel.
Le problème est double. D’une part, les paroisses suisses possèdent un parc immobilier qui excède leurs besoins et, d’autre part, elles ne sont plus en mesure d’assurer les coûts d’entretien de ces bâtiments. La réaffectation des lieux de culte et des bâtiments religieux pourrait-elle être une piste ? Le concept n’est pas tabou, loin de là, rappelle Johannes Stückelberger, professeur à l’université de Bâle, expert dans la conversion des lieux de culte, car « la réaffectation des églises existe depuis que les églises existent ». Mais selon lui, la question doit se discuter « dans une perspective théologique, urbanistique, politique, juridique, économique et sociologique ».
Des réflexions ont ainsi cours aux quatre coins de la Suisse. Dans les cantons réformés, ce sont les directives émises par l’Église évangélique luthérienne unie d’Allemagne qui s’imposent. Celles-ci distinguent la valeur d’usage d’un temple protestant (son utilisation comme lieu de culte) de sa valeur symbolique (marqueur de l’histoire culturelle du lieu au sens large). De fait, la Fédération des Églises protestantes de Suisse, dans une étude de 2007, posait déjà comme principe que « toutes les formes d’utilisation qui correspondent à des domaines d’engagement de l’Église sont parfaitement compatibles avec cette valeur symbolique ». Un temple, comme une église, une fois désacralisés, peuvent ainsi se muer en centre de formation, en centre culturel ou en centre de rencontre à vocation sociale. C’est le cas à l’église réformée Saint-Paul de Berne qui explore un partenariat avec l’université de Berne pour l’utilisation de la nef de l’église comme salle de conférences, ou à Lausanne où le temple Saint-Luc est devenu une maison de quartier. Quand l’usage spirituel prévaut, comme à l’église du couvent des Ursulines Mariahilf de Lucerne, un temps pressentie pour être transformée en conservatoire de musique, puis en mosquée, ce sont les communautés évangéliques ou charismatiques en pleine expansion qui prennent possession des lieux.
Johannes Stückelberger, qui a également créé la Journée annuelle suisse du patrimoine religieux en 2015, regrette que cette question de la réaffectation ne soit que depuis peu d’actualité : « Dans des pays comme la Hollande, l’Allemagne ou l’Angleterre, elle est omniprésente depuis des décennies. En Suisse, la tendance a d’abord été freinée par le financement complexe des églises nationales qui était intimement lié à celui de l’État. Néanmoins, au cours des vingt-cinq dernières années seulement, environ 200 églises, chapelles et monastères ont été utilisés à d’autres fins. »
Une base de données, disponible en ligne, permet justement de consulter les 183 cas recensés de réaffectations. Les cas de démolition (19) restent exceptionnels et concernent des églises datant de l’après-guerre, en état vétuste, et non inscrites au registre des monuments historiques. Avec près de 70 cas, la vente est majoritaire mais les résultats sont parfois mitigés. Ainsi en est-il de l’église réformée de Saint-Léonard à Saint-Gall dont la rénovation aurait coûté 4,5 millions de francs suisses [4,6 M€] ; elle fut l’une des premières églises à avoir été vendue à un particulier, un architecte qui l’acquit pour 45 000 francs suisses [46 000 €] en 2007, afin de la transformer en centre culturel et en restaurant. Depuis, faute de financements et de vision claire, le projet est au point mort au grand regret de la paroisse exclue de tout regard sur le lieu. Car tout n’est pas possible ni souhaitable selon Stückelberger qui a édicté une méthodologie pour la transformation des lieux de cultes. Selon lui, « une église a un potentiel, elle constitue un “capital au sens spirituel” et si l’Église doit s’ouvrir à une société non confessionnelle, elle doit montrer qu’elle ne renonce pas pour autant à ses croyances ».
Il en voit la meilleure application avec l’église MaiHof de Lucerne. Le lieu de culte qui avait besoin d’être réhabilité a été ouvert à un usage mixte. Dans l’église, des réunions, des expositions, des concerts, des séminaires et des banquets peuvent désormais être organisés en plus des offices religieux qui continuent à être proposés. Une crèche et une salle de jeux sont en location au sous-sol. La polyvalence des espaces, voilà peut-être la voie du milieu qui sera à privilégier pour le patrimoine religieux à l’avenir.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
En Suisse, de nouveaux usages pour le patrimoine religieux
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°614 du 23 juin 2023, avec le titre suivant : En Suisse, de nouveaux usages pour le patrimoine religieux