Une fois par mois, nous invitons un conservateur à choisir dans la collection de son musée une œuvre acquise récemment qu’il souhaite faire connaître au public. Emmanuelle Delapierre, conservateur au Musée des beaux-arts d’Arras, présente quatre bas-reliefs en terre cuite (1761) réalisés par Jean-Baptiste D’Huez (1729-1793).
Qui s’intéresse à la sculpture du XVIIIe siècle est souvent frappé par l’importance des grandes familles d’artistes, considérées comme de véritables dynasties. Dans ce contexte, quelques sculpteurs isolés restent facilement ignorés. C’est le cas de Jean-Baptiste D’Huez (Arras, 1729-Paris, 1793), évoqué généralement à travers celui qui fut son maître, Jean-Baptiste II Lemoyne. D’Huez est un bon praticien, chargé à la mort de Lemoyne d’achever trois de ses œuvres, pour éviter à ses héritiers de devoir rendre l’acompte déjà perçu. Mais, au-delà de l’élève et de l’exécutant, qu’en est-il du talent personnel du sculpteur ?
Il était sans doute plus difficile de répondre à cette question avant la découverte en 2001 de quatre bas-reliefs en terre cuite jusque-là inconnus. Le Musée des beaux-arts d’Arras a eu la chance de pouvoir acquérir ces œuvres du sculpteur arrageois, qui sont venues rejoindre dans ses galeries le beau marbre de L’Enfant courant, daté de 1769. Les quatre bas-reliefs, retrouvés chez un particulier, représentent chacun deux figures féminines symbolisant les Vertus. On peut les dater avec certitude de l’année 1761, grâce à Diderot qui les décrit sommairement au Salon comme “décoration d’un piédestal cylindrique, sur lequel doit être une urne funéraire”.
Ces bas-reliefs sont les seules œuvres en terre cuite connues de D’Huez. Ils sont exécutés avec une belle liberté, alors que le sculpteur n’avait pas encore achevé sa formation académique. 1761 est en effet l’année où D’Huez brigue l’agrément à l’Académie royale, en présentant un modèle en plâtre de Saint André, dont la traduction en marbre est aujourd’hui au Musée du Louvre. Si l’on considère ce petit marbre, respectueux des modèles de composition académique, on est d’autant plus frappé par la liberté d’exécution des bas-reliefs du Musée d’Arras, dans un registre gracieux et sensuel très différent.
Il suffit pour s’en convaincre de considérer le relief de la Tempérance et de l’Espérance, à travers lequel D’Huez ne s’attache pas tant à un code iconographique qu’à une recherche stylistique, même si les Vertus restent identifiables, au fût de colonne pour la première et au regard tourné vers le ciel pour la seconde. La surface du relief paraît presque vibrante, tant en particulier les guirlandes sont vivement esquissées et les drapés comme incisés dans la terre, laissant apparaître dans un jeu sensuel les jambes des Vertus. D’Huez a pleinement joué des possibilités du relief et est parvenu à créer un effet de mouvement par le seul entrelacement des deux figures. La Tempérance, à gauche, avance légèrement, son épaule venant masquer celle de l’Espérance. Son bras de ce fait est plus saillant, et permet de détacher au centre du relief, presque en ronde bosse, les mains jointes des deux Vertus. Autour de ces mains, la composition s’ordonne selon un schéma géométrique triangulaire. D’Huez parvient à créer dans ce dessin rigoureux un mouvement subtil grâce à un brillant exercice d’asymétrie, par le seul jeu de l’orientation des têtes, des lignes des drapés et du déhanchement gracieux des figures.
Avec la découverte de ces œuvres d’une très belle finesse de composition et d’exécution, sculptées dans un matériau qui autorise toute liberté, on entraperçoit enfin l’“esprit créateur” de Jean-Baptiste D’Huez. Comme l’affirmait en 1764 le collectionneur La Live de Jully, “les modèles ont souvent plus d’avantages que les marbres, parce que l’on y trouve bien mieux le feu et le véritable talent de l’artiste”.
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Emmanuelle Delapierre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°179 du 24 octobre 2003, avec le titre suivant : Emmanuelle Delapierre