HERNANI / ESPAGNE
À peine achevées les célébrations de son dixième anniversaire, le Musée Chillida-Leku fermera ses portes le 1er janvier 2011 pour une période de six mois. Joyau du Pays basque espagnol, le musée créé par le sculpteur Eduardo Chillida, et géré par ses descendants, souffre d’un déficit chronique. En parallèle, la famille a confié à Sotheby’s une douzaine d’œuvres monumentales à vendre.
HERNANI - Situé dans une ancienne ferme magnifiquement réhabilitée au cœur du Pays basque, à Hernani, le Musée Chillida-Leku a longtemps été l’un des plus beaux musées espagnols. Le passé composé s’impose car, deux mois après avoir fêté ses 10 ans, l’institution a annoncé qu’elle fermerait ses portes le 1er janvier 2011. Une fermeture temporaire de six mois, précise Gonzalo Calderón, l’un des gendres de Chillida. Pour la région, qui espérait obtenir que San Sebastián, situé à 9 kilomètres d’Hernani, devienne « Capitale européenne de la culture » en 2016, le coup est dur. Il est pourtant sans surprise, puisque le musée, entièrement privé, souffre d’un déficit chronique – 500 000 euros par an ces deux dernières années –, aggravé par la crise. La famille argue d’un dialogue de sourds avec les collectivités locales. « Nous avons perdu en 2008 nos principaux sponsors privés, qui apportaient 250 000 euros. Cette même année, nous avons reçu une aide des autorités locales et nous avions espéré que celle-ci se poursuivrait en 2009 et 2010, mais cela n’a pas été le cas. En novembre, elles nous ont fait comprendre qu’elles ne couvriraient pas le déficit. Ce n’est plus possible pour nous de continuer, nous a confié Gonzalo Calderón. Nous sommes tristes car les autorités locales ne comprennent pas l’effort énorme que la famille a consenti toutes ces années. Nous n’avons jamais pensé en termes financiers, nous savions depuis toujours que cela nous coûterait de l’argent. Mais il y a des limites. » Un plan social concernant vingt-trois employés a été mis en place.
Œuvres à vendre
Le gouvernement basque a appelé à une négociation pour parvenir à un « modèle de gestion acceptable pour le lieu et l’étude de possibilités pour la répartition de la propriété patrimoniale ». En gros, un financement mixte public-privé, induisant aussi un transfert de propriété sur des œuvres. « La propriété doit rester dans le giron de la famille, ou éventuellement dans celui de l’État si ce dernier accepte de garder l’unité de ce lieu et de respecter l’esprit dans lequel il a été créé par Eduardo Chillida », nous a indiqué Gonzalo Calderón. Lors de la commémoration des 10 ans du musée en septembre, Luis Chillida, l’un des fils du sculpteur, avait évoqué la possibilité d’ouvrir le musée à des expositions d’autres artistes, pour raviver l’attractivité du site. Cela supposerait toutefois la construction d’un nouvel édifice, l’actuel bâtiment ne pouvant accueillir de telles manifestations. Cette hypothèse ne paraît guère pouvoir se concrétiser tant que le musée n’aura pas gagné un équilibre financier. La famille a par ailleurs déclaré poursuivre après la fermeture du lieu la conservation et le prêt d’œuvres, tout comme l’organisation d’expositions. La première « exposition » que celle-ci orchestre aux États-Unis se révèle être… une vente. La famille a ainsi confié à Sotheby’s la vente (de janvier à avril 2011) de douze sculptures monumentales de Chillida sur le Golf d’Isleworth en Floride. Un rapport de cause à effet ? « La vente a été signée en septembre dernier, avant que l’on ne décide de la fermeture, précise Gonzalo Calderón. C’est une opportunité de montrer de belles pièces aux États-Unis, des sculptures qui, par leur taille, seraient invendables en galerie. Mais nous ne comptons pas céder les douze pièces, seulement trois ou quatre. »
Bas rendement
L’annonce de la fermeture du Musée Chillida a immédiatement secoué le Landerneau culturel espagnol. « C’est l’un des plus beaux et importants espaces d’art en Espagne. On ne peut pas se permettre une telle fermeture. Le monde des musées doit défendre son influence face à la classe politique », nous a déclaré Miguel Zugaza, directeur du Prado à Madrid. Par un funeste concours de circonstances, le Centre José-Guerrero, à Grenade, fermera aussi ses portes en fin d’année, à la suite d’une discorde née en 2009 entre les héritiers du peintre et la Diputación de Grenade. Celle-ci souhaite en effet reconvertir le lieu en une « fondation populaire », si ce n’est « populiste », pour les artistes contemporains de Grenade, dans laquelle l’œuvre de Guerrero serait diluée. Une décision qui a fait bondir les curateurs María Corral, Juan Manuel Bonet et Eduardo Quesada Dorador, lesquels ont démissionné le 2 décembre de la commission consultative du musée. De fait, les soixante œuvres du peintre expressionniste exposées dans ce lieu risquent fort d’être envoyées dans un garde-meuble madrilène. « La Diputación a constamment agressé la famille. Ils n’ont pas écouté l’opinion : ni la commission consultative, ni les artistes de Grenade, ni les historiens et critiques d’art. C’est un cas aigu d’incapacité de comprendre comment fonctionnent les choses de la culture », confie Juan Manuel Bonet. Et d’ajouter : « Je pense que ces deux fermetures ont un certain caractère symbolique. Les années 1980 et 1990 ont connu un grand développement économique. L’Espagne démocratique se dota de nouvelles infrastructures culturelles. Mais à la longue il n’est pas facile de les maintenir. Nombreux sont les musées qui fonctionnent à bas rendement. »
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Eduardo Chillida perd son musée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°337 du 16 décembre 2010, avec le titre suivant : Eduardo Chillida perd son musée