La Fondation Maeght, à Saint-Paul, offre une lecture sensible de l’œuvre du sculpteur espagnol Eduardo Chillida, décédé en 2002.
SAINT-PAUL-DE-VENCE - C’est un peu la démonstration des contraires, ou en tout état de cause une mise en faillite des clichés et des idées reçues. Vue de loin, avec des œuvres dispersées de-ci de-là dans des collections publiques ou des expositions, l’œuvre d’Eduardo Chillida (1924-2002) s’impose souvent par l’image d’une monumentalité jamais exempte d’une certaine forme de gracilité, qui semble venir à bout du caractère et qu’une lecture superficielle de sa production qualifierait parfois de pesante. Un caractère lui-même déjoué par le brio avec lequel le sculpteur, en quête d’un nécessaire dynamisme formel, s’emparait de la matière (tordre le fer, dompter la terre ou la pierre, creuser le bois…). Or, si le dynamisme apparaît toujours être l’un des moteurs de l’œuvre, l’exposition que lui consacre la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, avec quelque cent quarante travaux, rebat les cartes au service d’une lecture sensible et tout en légèreté, où l’artiste apparaît tout en contraste et en opposition.
Légèreté apparente
Tout d’abord, face à la gravité, s’imposent l’ascendance et la légèreté. Loin d’être massives, ses Enclumes de rêve (1954-1958), exécutées peu après son installation au Pays Basque, qui fit elle-même suite à de brèves années de formation à Paris entre 1948 et 1951, peuvent se laisser voir telle une sorte de cerveau stylisé dont la structure fine et ascendante s’ouvre sur le vide. L’apparente légèreté, tant de la sculpture que des travaux en deux dimensions, tient pour beaucoup du développement d’une certaine géométrie organique, qui fait se structurer l’œuvre sous forme de réseaux de volumes ou de lignes imbriqués ou entrelacés selon le principe que « l’œuvre veut essayer de lutter contre la gravitation, mais pas à partir du léger, plutôt avec du poids ». Pensée autour du volume, cette réflexion trouve toutefois des applications graphiques plus ténues, comme avec les bien-nommées Gravitations (1986), travaux hybrides entre collage et sculpture faits de papiers superposés et suspendus par des fils, qui génèrent, au-delà de la légèreté, d’infimes décalages propres à tracer des limites spatiales et à laisser se développer différents niveaux.
L’évolution fut rapide puisqu’en 1948 un Torse humain, quoiqu’encore vaguement figuratif, imposait déjà une quête de la ligne et par-delà de la définition et de la délimitation d’un espace en creux. C’est là l’autre grande quête de Chillida, que de constamment chercher une sorte d’espace en négatif. Cet espace est une affaire de limites et de structures graphiques en réseaux, qui prennent des formes diverses en fonction des matériaux convoqués : des structures en fer de petite taille tout en torsion (Tres, 1955), des reliefs en bois aux volumes qui se côtoient sans s’imbriquer (Relief, 1963), ou encore un bloc d’albâtre laissé brut à l’extérieur et dont l’intérieur fut creusé en une topographie volumétrique, accentuant là une autre dichotomie entre intérieur et extérieur (Hommage à la mer III, 1984). Nombreuses, les briques de terre chamottée laissent se développer des réseaux linéaires complexes, tout comme de nombreuses eaux-fortes et dessins, dont certains sont des hommages rendus à des personnalités proches ou admirées, qui laissent voir là une structure ouverte et en même temps abstraite dans la manière de les percevoir.
Architecte plus que sculpteur
La manière dont la sculpture est pensée pour étendre ses ramifications est une façon d’explorer, si ce n’est de conquérir, l’espace qui finalement la définit, et d’inverser les valeurs, comme avec la pièce en acier intitulée, de manière presque programmatique, Autour du vide (1964). Chez l’artiste espagnol, l’œuvre ne se lit pas pour ses seules qualités, mais aussi par ce qu’elle dit de son environnement.
Certains volumes de granit très rugueux (Iru Burni, 1968-1969), des enchevêtrements dans une grande masse d’albâtre évoquant la maquette d’un habitat rêvé (Éloge de la lumière, 1990), ou encore l’usage du béton réfractaire (Mural G-334, 1999) donnent une autre dimension à ce questionnement de l’espace. Par son talent à le structurer se découvre alors un Chillida presque plus architecte que sculpteur.
Jusqu’au 13 novembre, Fondation Maeght, 623, chemin des Gardettes, 06570 Saint-Paul-de-Vence, tél. 04 93 32 81 63, www.fondation-maeght.com, tlj 10h-19h jusqu’au 30 septembre, 10h-13h et 14h-18h à partir du 1er octobre. Catalogue, éd. Fondation Maeght, 216 p., ISBN 978-2-9009-2353-5
Commissariat : Ignacio Chillida
Nombre d’œuvres : env. 140
Légende Photo :
Eduardo Chillida, Tres II, 1955, fer, 12 x 9 x 13 cm, collection Famille Maeght, Paris.© Zabalaga-Leku. Photo : Galerie Maeght
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°352 du 9 septembre 2011, avec le titre suivant : Chillida, faiseur d’espaces