Art contemporain

XXE SIÈCLE

Un Chillida intense

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 21 mai 2018 - 620 mots

TOULOUSE

La scénographie de l’exposition des Abattoirs permet d’apprécier pleinement la sculpture abstraite, condensée et poétique de l’Espagnol.

Eduardo Chillida, « La gravedad insistente », les Abattoirs, Toulouse.
Exposition Eduardo Chillida, « La gravedad insistente », les Abattoirs, Toulouse.
Photo S. Leonard
© Zabalaga – Leku

Toulouse. Il est recommandé de faire un premier tour de l’exposition d’Eduardo Chillida (1924-2002), aux Abattoirs-Musée d’art moderne et contemporain, en lisant les panneaux de salles. C’est d’autant plus nécessaire que l’équipe pédagogique a effectué un travail remarquable ; les notices sont claires et intelligentes. Mais ensuite, on peut mettre les explications en veille et tourner autour des œuvres, car la sculpture est avant tout un dialogue entre les formes et l’espace. C’était déjà le cas quand elle était figurative, cela l’est davantage quand elle se fait abstraite. Car l’architecture permet de bénéficier d’une vue plongeante sur pratiquement l’ensemble du parcours, qui commence justement par une œuvre suspendue. Baulieu (1991) est un pilier en acier, arrondi dans sa partie inférieure, accroché au plafond. Monumental et aérien à la fois, cet obélisque inversé dégage une tension étonnante ou, pour reprendre le titre de la manifestation, une « gravité intense ».

Ce jeu entre le plein et le vide, entre le solide et le fragile, l’artiste le décline à l’aide d’innombrables matériaux. Le fer, l’acier, la terre chamottée, le béton, le ciment, la pierre, l’albâtre, mais aussi le papier qui, entre les mains de l’artiste, prend du relief. Ce sont ces textures, lisses ou rugueuses, ces couleurs, qui vont de la blancheur translucide de l’albâtre au granit rose de l’Inde, qui forment les différentes sections de l’exposition.

Le sculpteur, non seulement refuse la pratique du tirage en nombre que l’on trouve dans la sculpture en bronze, mais encore il rejette l’idée de sérialité, très présente dans l’art contemporain. C’est que Chillida possède un don rare : celui d’inventer des formes nouvelles, jamais vues auparavant, des expressions condensées d’une poésie personnelle et universelle.

Comme de nombreux artistes espagnols de sa génération, Chillida se rend à Paris au début des années 1950 après des études inachevées d’architecture à Madrid, pour y trouver une liberté créative. Sa formation initiale le prépare à une pratique artistique qu’il définit comme suit : « Faire des sculptures pour créer des espaces dans lesquels le vide peut agir » (1). Peut-on voir une trace – ironique ? – de cette discipline dans La Table de l’architecte (1984), une table basse en acier, dont le plateau est « troué » par des ouvertures en forme de trapèze ? Ailleurs, une composition en fer forgé – un rappel lointain de Julio González ou de Pablo Gargallo –, évoquant des « bras » déployés dans l’espace, a pour titre Espaces perforés (1952).

Espace urbain et naturel

D’une échelle différente sont les projets imaginés pour l’espace urbain ou la nature, présentés ici au travers d’études, de maquettes ou de photos. Celui mené à terme à Saint-Sébastien, en Espagne, Peignes du vent, 1976, soit trois pièces érigées sur des rochers battus par la mer, à l’image de griffes posées par un géant face à l’Atlantique pour maîtriser les alizés. Celui resté inachevé, son grand rêve, le projet Tindaya, où l’artiste a voulu créer à l’intérieur d’une montagne, située sur une île, un grand espace « sculpté pour l’humanité », un haut lieu de spiritualité.

Si l’on regrette que cette idée n’ait pu être concrétisée, on se console avec cette œuvre en apparence plus modeste, Hommage à la mer (1984), une magnifique forme organique en albâtre, une suggestion qui s’adresse à l’imaginaire. Difficile de résister au plaisir de citer la notice destinée aux enfants, qui décrit ainsi cette merveille de raffinement : « La luminosité semble venir directement du cœur de la pierre, comme si elle était retenue à l’intérieur et qu’elle surgissait du matériau lui-même. »

(1) Catalogue, éd. Fondation Maeght, Saint-Paul-de-Vence, 2011.

 

Eduardo Chillida, La gravedad insistente, jusqu’au 26 août, Les Abattoirs, 76, allées Charles-de-Fitte, 31300 Toulouse.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°501 du 11 mai 2018, avec le titre suivant : Un Chillida intense

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