Donation

Dans l’ombre de Kahnweiler

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 7 novembre 2003 - 572 mots

La donation Maurice Jardot, qui comprend des toiles de Picasso, Braque, Léger ou Masson, est exposée à Belfort depuis 1999. Peu après le décès du collectionneur, en mai 2002, l’ensemble s’est enrichi d’un second legs.

BELFORT - Venu rejoindre Daniel-Henry Kahnweiler en 1957 à la direction de la galerie Louise Leiris, Maurice Jardot (lire l’encadré) est longtemps resté dans l’ombre du célèbre marchand et des grands artistes qu’il a côtoyés, Braque, Léger ou Picasso. En léguant en 1997 plus d’une centaine de pièces de sa collection à la ville de Belfort, Maurice Jardot sort de ce quasi-anonymat. Deux tableaux de Picasso, Nu de dos (1941) et Femme nue couchée dans un intérieur (1961), l’étude pour le fameux Remorqueur (1919) de Fernand Léger, une nature morte de Juan Gris (1918) et de nombreux bronzes signés Henri Laurens comptent parmi les dessins, sculptures et peintures offerts à la ville. Peu après le décès de Maurice Jardot, le 29 mai 2002, un nouveau legs est venu compléter le premier ensemble. De nouveaux Picasso (Passe de cape, peinture, 1956, Vénus et l’Amour, eau-forte tirée en 1968), Léger (Composition au compas, huile, 1932), Braque (ensemble gravé de la Théogonie d’Hésiode), ainsi que Jazz, l’ouvrage de Matisse publié en 1947, ont venus rejoint la première donation. Celle-ci est exposée depuis 1999 au cœur de Belfort, dans une demeure de la fin du XIXe siècle, choisie et aménagée selon les recommandations du légataire.

Une collection atypique
Le collectionneur voulait que l’édifice soit « réalisé en veillant à restituer l’esprit de la collection du cabinet d’amateur », en hommage à Daniel-Henry Kahnweiler. Il souhaitait également que les espaces d’exposition ne comportent aucune ouverture sur l’extérieur, pour que le visiteur se concentre exclusivement sur les œuvres, et que les sculptures ne soient pas enfermées dans des vitrines, afin de pouvoir les toucher. Suivant ces conditions très précises, Robert Rebutato et Pernette Perriand (la fille de la célèbre designer Charlotte Perriand) ont conçu un espace à la fois moderne et intimiste. Seul regret : conformément à la volonté de Maurice Jardot, les œuvres ne sont pas accompagnées de cartels explicatifs ; le parcours manque donc de lisibilité pour les non-initiés. D’autant plus que « la collection est très atypique, explique son conservateur, Christophe Cousin. La visite est difficile et le visiteur lambda doit être accompagné puisqu’il n’existe pas réellement de fil conducteur. Seuls les coups de cœur de Jardot relient les œuvres entre elles. Il s’agit, pour chaque artiste, de bribes d’une période de création”. Une exception : Masson, dont l’ensemble est relativement cohérent puisque les œuvres – des dessins de 1924 à 1926, des peintures automatiques et de grands paysages surréalistes des années 1960 – reflètent l’évolution de l’artiste.
« La collection permet de beaux échanges avec d’autres institutions, ajoute le conservateur. Pour l’instant, nous ne pouvons organiser que de petites expositions-dossiers. Mais, avec plus de place, nous pourrions réaliser des manifestations de plus grande envergure. » La donation Maurice Jardot permet à la ville de Belfort de nourrir quelques ambitions pour l’avenir. Alors que l’extension de la donation est déjà envisagée, le Musée d’art et d’histoire devrait d’ici quelques années se scinder en deux établissements, l’un dévolu aux beaux-arts, l’autre (regroupant les collections militaires) à l’histoire de France...

Donation Maurice Jardot, 8 rue de Mulhouse, 90000 Belfort, tél. 03 84 90 40 70/72, tlj sauf mardi 10h-12h et 14h-17h. Catalogue de la première donation, éditions RMN, 160 p., 25,15 euros.

Qui était Maurice Jardot ?

Né en 1911 dans un petit village proche de Belfort, Maurice Jardot devient inspecteur des Monuments historiques à la fin des années 1930. En 1945, il est nommé à la tête des Affaires culturelles de la délégation du gouvernement militaire français pour le pays de Bade. Chargé d’initier les jeunes Allemands à l’art moderne, il organise sa première exposition, « Les maîtres de la peinture française contemporaine » (1947), et fait appel à cette occasion à Daniel-Henry Kahnweiler. En 1953, il intervient auprès de Le Corbusier pour qu’il construise une chapelle à Ronchamp, et présente une grande exposition « Picasso » à São Paulo. Trois ans plus tard, en 1956, il rejoint Kahnweiler à la direction de la galerie Leiris où il organise de nombreuses expositions (pas moins de 7 consacrées à Picasso). En 1996, il cesse ses activités et, l’année suivante, fait don de sa collection à la ville de Belfort. Il décède le 29 mai 2002. À lire : Christine Lorach, Mémoire de maîtrise, Histoire de l’art, université Marc-Bloch, Strasbourg II, 1999.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°180 du 7 novembre 2003, avec le titre suivant : Dans l’ombre de Kahnweiler

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