Dans une approche interdisciplinaire, un ouvrage rend compte des récentes mutations de ces espaces essentiels à la vie des collections muséales, entre stockage, conservation, préservation, recherche.
« Ni trésor, ni débarras » : pour reprendre la formule prononcée par l’ancienne conservatrice générale du Musée du Louvre Annie Caubet, lors d’un colloque international organisé à Paris en 1994, les réserves sont un lieu essentiel du musée, véhiculant de nombreux imaginaires, souvent éloignés de leur réalité quotidienne.
Les réserves des musées : écologies des collections, dirigé par Tiziana N. Beltrame et Yaël Kreplak, remet en perspective ces espaces et les aborde, non seulement comme un environnement professionnel spécifique, mais également comme un milieu de vie. À l’opposé du stéréotype selon lequel la réserve est un lieu dormant, le parti pris des deux chercheuses est d’en montrer le caractère organique et mouvant. Pour ce faire, elles ont mobilisé un large panel de spécialistes et professionnels afin qu’une pluralité de voix et d’approches soient réunies et puissent dialoguer. Elles ont souhaité, à travers cette démarche interdisciplinaire, restituer et analyser le plus finement possible les phénomènes à l’œuvre dans les coulisses du musée, de manière à rendre ces dynamiques visibles.
Les multiples contributions s’enchaînent sous diverses formes (chapitre, entretien, visite, etc.) et couvrent un large spectre. Principalement centrées sur l’écosystème parisien, celles-ci viennent attester des profondes mutations que connaissent les réserves depuis ces trente dernières années. Ces lieux sont désormais des espaces à part entière, sortent des sous-sols des musées pour devenir des centres de conservation professionnels, parfois ouverts au public, et sont voués à la préservation ainsi qu’à l’étude des collections. La place des personnes s’occupant des réserves et évoluant en leur sein est analysée avec pertinence et acuité sous plusieurs angles. Ces professionnels ont la difficile mission de veiller à « ranger les objets, de façon à ce qu’ils soient préservés dans de bonnes conditions, tout en restant disponibles pour les différents usages qui doivent (ou peuvent) en être faits et tout en leur laissant la possibilité d’être rejoints par d’autres, au gré des acquisitions annuelles ». Ce périlleux art d’accommoder les collections mobilise de nombreux savoirs et techniques dont l’ouvrage se fait l’écho : logistique, mannequinage [textile, costumes, ndlr], conditionnement, architecture, et bien d’autres encore.
Les réserves sont également un écosystème où la prévention et la gestion des risques, qu’ils soient ordinaires ou urgents, sont au cœur des préoccupations. Les problématiques liées aux inondations, à la radioactivité, ou celles plus spécifiques concernant les collections génétiques, sont traitées avec rigueur. En s’interrogeant sur ces espaces, il apparaît que les objets abrités en leur sein constituent des ensembles mouvants qui s’ajustent en permanence aux changements sociaux, matériels et techniques ainsi qu’aux théories de la conservation. Selon Tiziana M. Beltrame et Yaël Kreplak, la finalité des réserves est de préserver, non seulement les œuvres et autres spécimens, mais aussi les potentialités de leur évolution, et de réunir le maximum de connaissances possible.
Fruit de plusieurs projets de recherche et d’une longue gestation intellectuelle, ce livre est particulièrement bien ancré dans son champ disciplinaire, il vient dialoguer avec d’autres publications telles que Museum Storage and Meaning. Tales from the Crypt (2018) de Mirjam Brusius et Kavita Singh, ou encore Still Life : Ecologies of the Modern Imagination at the Art Museum (2020, University Press of Chicago) de Fernando Domínguez Rubio. L’ouvrage de Tiziana Beltrame et Yaël Kreplak partage d’ailleurs avec ce dernier l’ambition d’adopter une approche « écologique » du musée. Celle-ci vise à « aborder l’infrastructure patrimoniale dans sa complexité (matérielle, informationnelle, technique) et à examiner les relations dynamiques qui se nouent entre les objets des collections, les acteurs qui en ont la responsabilité et les institutions de la conservation ». Ce livre est également un manifeste en faveur de l’émergence d’une « éco-conservation », il est un plaidoyer vibrant pour l’adoption d’une démarche écoresponsable au cœur des réserves et propose même différentes solutions à ces préoccupations nouvelles.
Les réserves des musées est un classique en devenir sur cette thématique et un véritable modèle méthodologique dans la conduite d’une recherche interdisciplinaire où se mêlent une grande diversité d’approches. La polyphonie qui s’en dégage atteste de la vitalité de ce passionnant objet d’étude que sont les réserves et des nombreux enjeux qu’elles cristallisent. À n’en pas douter, ces espaces et les réflexions théoriques qui les accompagnent constituent une problématique centrale pour toutes les institutions muséales au cours de ce XXIe siècle en devenir.
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Dans l’écosystème des réserves
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°643 du 15 novembre 2024, avec le titre suivant : Dans l’écosystème des réserves