Si l’entrée de la grotte se trouve désormais engloutie à 37 mètres de profondeur, la Villa Méditerranée, à Marseille, invite depuis quelques jours les visiteurs à découvrir la restitution de ce site majeur de l’art pariétal au Paléolithique.
En Dordogne, dans la grotte de Lascaux, des chevaux et des bisons galopent sur les parois. Dans celle de Cosquer, engloutie par les flots il y a environ 10 000 ans, puis redécouverte en 1985 dans la calanque de la Triperie, au cap Morgiou, à Marseille, pingouins et phoques ornent la roche. Et pour cause, lorsqu’elle fut ornée, une première fois vers 33 000 av. J.-C., puis vers 19 000 av. J.-C., cette grotte se situait à environ 5 kilomètres du rivage. Avec son dos noir, son ventre blanc, ses ailes, ce spécimen de « grand pingouin » (une espèce exterminée par les chasseurs au milieu du XIXe siècle) est un symbole de ce monde marin, rarement représenté dans les grottes ornées. « Tracé sur de la calcite blanche, brillante, sur une paroi en surplomb, à 45° au-dessus du vide, son dessin fantomatique fut en outre particulièrement délicat à reproduire », témoigne Gilles Tosello, préhistorien et artiste, en charge de la restitution des panneaux ornés de cette grotte fragile et presque inaccessible, dont la réplique a été inaugurée au mois de juin dans la Villa Méditerranée, à Marseille. Pour donner l’illusion de l’humidité, des écoulements, de la texture de la grotte, il utilise de la résine, mélangée à des minéraux ou de la poudre de verre, sur laquelle il trace ou grave le dessin.
En haut à gauche de cette image, un bouquetin, avec ses pattes, ses cornes étonnantes, gravées avec précision et élégance d’un seul coup de burin. À droite, légèrement plus bas, un phoque, reconnaissable à ses nageoires, et à son profil dont les stries représentent les moustaches. Pour figurer un animal, les artistes de la préhistoire observaient les accidents des parois, qu’ils intégraient dans leur dessin. Ainsi, au milieu du corps quadrillé du bouquetin, on aperçoit un trou, frotté avec de l’argile rouge. De ce trou, on distingue un trait, vers le haut… une flèche ! « Il est en effet possible que la configuration de la paroi impose le décor », explique Gilles Tosello. Le phoque apparaît quant à lui transpercé de flèches au niveau du poitrail. Autour d’eux, on distingue des sillons digitaux, au sujet desquels le préhistorien Jean Clottes a avancé une hypothèse chamanique, selon laquelle les artistes des cavernes auraient voulu prélever de la matière sacrée de la grotte. « Les ornements des grottes étaient peut-être exécutés au sein d’un contexte rituel que nous ignorons, accompagnés de gestes, de chants… », commente Gilles Tosello, qui a participé récemment à l’étude d’une conque, retrouvée dans la grotte de Marsoulas, en Occitanie, transformée en instrument à vent, et dont le son a pu être modélisé et restitué.
Gravé dans la paroi, avec une insistance particulière au niveau de la tête, ce cheval manifeste une grande habileté technique. Sa tête semble avoir été gravée avec un soin particulier, qui en fait presque un bas-relief ! Dans leur ouvrage Cosquer redécouvert (Seuil), les préhistoriens Jean Clottes, Jean Courtin et l’archéologue Luc Vanrell remarquent que les animaux figurés à Cosquer apparaissent rarement en mouvement. Leurs corps sont souvent transpercés de flèches ou gravés de signes, comme ici des quadrillages. Magie de la chasse, rituel ou envoûtement ? On l’ignore. Toujours est-il que pour figurer les animaux, les hommes pénétraient des cavités profondes qui s’apparentaient à un monde de l’au-delà, dont les traces qu’ils y laissèrent « trahissent la signification vitale qui lui était accordée et le rôle qu’il jouait, à tous égards, dans les pratiques magico-religieuses du temps », écrivent-ils.
Sur les parois des grottes ornées, point d’arbre ou de montagne. Les animaux représentés par ces populations de chasseurs sont rois, et les représentations humaines fort rares. Mais voyez-vous, ici, le corps renversé sur le dos gravé sur cette paroi ? Au niveau de la tête, les stries figurent les moustaches d’un phoque. « Mais le cou est resserré comme s’il s’agissait d’un humain, et les nageoires se terminent par des doigts, et sont plus longues, comme s’il s’agissait de bras. De plus, l’arrondi du postérieur suggère des fesses humaines », observe Gilles Tosello. Un harpon semble transpercer le dos. Cette scène, qui semble représenter un homme-phoque, évoque la figure de l’homme à tête d’oiseau de la grotte de Lascaux. « Peut-être est-ce la représentation d’un même mythe, adapté à l’univers marin de cette grotte qui était située à quelque 5 kilomètres du rivage », suggère le préhistorien.
Qui diable a ainsi lacéré ces mains ? Ces destructions violentes, rageuses, par des stries, comme ici sur cette main rouge, ne s’observent dans aucune autre grotte ornée de la préhistoire. Qu’a-t-on voulu détruire à travers elles ? Mystère. Réalisées par une projection de boue, ramassée, délayée dans la bouche pour être projetée avec les joues sur la paroi à travers les lèvres resserrées, ces mains pouvaient exprimer le désir d’entrer en communication avec un monde spirituel, à travers la paroi, ou celui d’affirmer sa présence à cet endroit. Ici, comme sur de nombreuses mains de la grotte, certains doigts apparaissent plus courts que d’autres. Amputation rituelle ? Doigts repliés ? On l’ignore. « Peut-être aussi n’est-ce qu’un effet causé par la position de la tête par rapport à la main », avance Gilles Tosello.
Dans la grotte Chauvet, en Ardèche, à quelque 200 km de celle de Cosquer, les félins sont omniprésents. Cette lionne des cavernes, dont l’espèce s’est éteinte, est le seul félin de Cosquer. Sa particularité ? Sa tête est représentée en trois quarts, si bien que ses deux yeux sont représentés, alors que les animaux des grottes pariétales, figurés de profil, n’en affichent qu’un. Dessinée au charbon sur la paroi, puis estompée au doigt, elle a été reproduite selon la même technique dans l’atelier de Gilles Tosello, à Toulouse, qui s’attache à utiliser des techniques identiques et les mêmes matériaux que les artistes préhistoriques, à partir de fichiers numériques permettant de projeter le dessin sur la paroi et de restituer les panneaux avec la plus grande fidélité, tout en manifestant une sensibilité artistique... comme un musicien jouant sa partition.
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Comprendre l’art pariétal de la grotte Cosquer
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°756 du 1 juillet 2022, avec le titre suivant : Comprendre l’art pariétal de la grotte Cosquer