Société

Chicago Archi-arty

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 20 mai 2009 - 1102 mots

CHICAGO / ETATS-UNIS

Capitale mondiale de l’architecture et du jazz, référence en matière d’art avec notamment la plus grande collection impressionniste après Paris, Chicago est une métropole captivante, bien au-delà de l’Obamania qui s’est emparée d’elle.

La nouvelle a fait la une du Chicago Tribune et toute la ville en parle. Sa plus célèbre tour a changé de nom : la Sears Tower, qui est à Chicago ce que la tour Eiffel est à Paris, s’appelle désormais la Willis Tower, du patronyme d’une des entreprises qui y a installé son siège social. Comment peut-on aussi aisément rebaptiser le plus haut gratte-ciel des États-Unis ? Dans la ville d’Al Capone, on s’enivre certes d’architecture, mais on ne badine pas avec le sujet. Les guides ne qualifient-t-ils pas Chicago de capitale mondiale de l’architecture ?
Des mouvements majeurs sont nés ici, sur les cendres du grand incendie qui ravagea la ville en 1871 : la première école de Chicago dans les années 1880-1890, avec l’avènement de la structure métallique et l’édification du gratte-ciel ; le mouvement « City Beautiful » et le retour au classicisme ; l’architecture organique de Frank Lloyd Wright et son style « Prairie » ; la seconde école de Chicago marquée par le come-back des lignes simples et fonctionnelles…
Au hasard des flâneries dans cette métropole vibrante, on se délecte du profil anguleux de l’hôtel Sofitel, de la masse pyramidale du Hancock Building, du « gothique flamboyant » de la Tribune Tower ou du triangle épuré de la prison fédérale ! Dans l’hypercentre, délimité par le Loop et son mythique métro bringuebalant à ciel ouvert mis en service en 1892, immeubles contemporains et anciens cohabitent harmonieusement.

The Windy City
Ici on cultive l’esthétisme jusque sur les terrasses et toits des plus hauts buildings. John T. Young, jardinier-designer du Pinnacle, de l’Heritage, du Bristol, du Bernardin, rafle depuis trois ans tous les prix décernés à ces artistes-paysagistes d’altitude. Cet ex-antiquaire spécialisé dans l’Art déco estime que son travail, loin d’être purement décoratif, contribue à la convivialité des lieux, à un certain art de vivre. De même que les prestigieuses sculptures qui ont investi les espaces publics, au pied des canyons urbains de Chicago : Picasso, Calder, Dubuffet, Miró, Chagall…
Plus qu’à New York, où Manhattan est enclavée dans la baie d’Hudson, à Chicago le « skyline » s’étire, le long du lac Michigan. Pour l’admirer, on peut se poster près de l’Adler Planetarium dans le Museum Campus ou monter prendre un verre au bar panoramique de la tour Hancock, à 300 mètres d’altitude, ou encore emprunter l’un des bateaux de croisière qui stationnent à Navy Pier, interminable jetée construite entre 1914 et 1916 pour accueillir les bateaux de marchandises qui reliaient les Grands Lacs. Aujourd’hui, les entrepôts ont laissé place à un immense parc d’attractions et à un Children’s Museum.
Bien que troisième ville des États-Unis après Big Apple et L.A., la « Windy City » est peu dense, très aérée. Un surnom qui ne lui vient d’ailleurs pas d’un climat venteux, mais de la plume aigrie d’un journaliste du New York Times qui accusa Chicago, alors candidate à l’exposition colombienne de 1892, de « brasser de l’air ». Chicago l’emporta pourtant, face à Saint Louis, New York et Washington.

United Colors of Obama
Vue d’avion, la belle Américaine se donnerait presque des faux airs vénitiens. Car outre le lac Michigan qui l’orne d’un vaste ruban bleu, la ville est également divisée par les deux bras de la Chicago River. Les espaces verts y sont vastes et souvent « arty », comme le Millennium Park, décidé par un maire visionnaire, Richard M. Daley, soucieux de requalifier le tissu urbain, avec l’aide des dynasties industrielles locales – les Wrigley, Crown, Pritzker… – qui apportèrent 200 millions de dollars sur les 475 millions investis dans le parc !
Le « Cloud Gate », sculpture d’Anish Kapoor, y fait le bonheur des photographes, car ce miroir en 3D, qui ressemble à un haricot géant, reflète en les déformant à l’infini les hauts bâtiments du Loop. À deux pas, la carcasse métallique du Jay Pritzker Pavilion, vaste scène ouverte dessinée par Frank Gehry, complétée par son treillis de tubes métalliques qui lacèrent le ciel, ne peut renier sa filiation avec le Guggenheim de Bilbao. Depuis peu, le Millennium Park est relié par une passerelle à la nouvelle aile imaginée par Renzo Piano pour l’incontournable Chicago Art Institute, l’un des plus importants musées des États-Unis.
 Mais c’est dans un autre espace vert, le « Grant Park », que Barack Obama est venu remercier ses supporters le soir de son élection. Ex-fief politique et ex-résidence du nouveau président des États-Unis, Chicago, toujours en butte à une ségrégation raciale marquée, n’est pas peu fière de son leader noir, après avoir longtemps encensé Abraham Lincoln. Difficile d’échapper à l’Obamania, sur les murs, dans les vitrines.
Longtemps complexée artistiquement par rapport à New York, malgré son architecture pionnière et sa propre école d’art née dans les sixties – les imagistes – au moment où pop art et hyperréalisme exultaient à Manhattan, Chicago savoure sa revanche : le portrait officiel du président a été réalisé sous la direction de Pete Souza, nouveau photographe de la Maison-Blanche et… reporter du Chicago Tribune. 

Une histoire mythique

Le Chicago History Museum, récemment rénové, nous apprend que la ville a quasiment été fondée par un Français ! Le père jésuite Marquette débarqua dans cette région en 1763 afin d’agrandir le territoire de France et de convertir les Indiens au christianisme. On découvre aussi comment, en 1848, Chicago devint le premier port intérieur des États-Unis grâce à la construction du canal entre le lac Michigan et la rivière Illinois. Le superbe « Chicago Board of Trade », créé pour fixer le prix des marchandises qui transitaient à travers la ville, date de cette époque. Avec la première locomotive, la ville devint le plus gros nœud ferroviaire du pays, de même qu’une cité industrielle et financière. La population a alors afflué et d’énormes abattoirs ont été créés. Chicago leur a rendu hommage en 1999 en organisant la « Cow’s Parade », dont on peut encore voir quelques sculptures grandeur nature en ville. Le musée raconte également l’abolition de l’esclavage, les émeutes ouvrières qui secouèrent le xixe siècle, l’exposition colombienne de 1893 pour laquelle furent construits le métro ainsi que l’énorme temple Art déco – à présent le musée des Sciences et de l’Industrie – de Hyde Park. Enfin, on comprend mieux comment, avec l’afflux d’une importante main-d’œuvre d’Afro-Américains au début du XXe siècle, Chicago importa le pire, ses ghettos noirs du Sud, et le meilleur, le blues et le jazz.

Le Luma explore la relation entre art et spiritualité
En bordure de Magnificent Mile, dans un bâtiment néogothique, le Loyola University Museum of Art a été ouvert en 2005 ; il explore la relation entre art et spiritualité, dans toutes les confessions et toutes les cultures. Le trésor du Luma, c’est la collection Martin d’Arcy, composée d’œuvres du Moyen Âge, de la Renaissance et du baroque : peintures, sculptures, objets de dévotion. Parallèlement se déroulent des expositions temporaires. Jusqu’à mi-août, trois expos : « Rodin : dans ses propres mots » avec 36 bronzes, des livres et des lettres ; « Paris-Chicago : la photographie de Jean-Christophe Ballot » ; « Chicago & Vatican » du reporter McMahon. Mi-septembre, le Luma mettra l’accent sur l’héritage spirituel de l’art abstrait à travers trois artistes américains.

Des galeries très nombreuses
Les galeries sont très nombreuses à Chicago, mais elles ne sont plus concentrées dans l’ancien quartier industriel de River North, où certaines, touchées par la crise, ont mis la clé sous la porte. Nos coups de cœur : à River North, les galeries Roy Boyd, Carl Hammer, Ann Nathan, Marx-Saunders, Zolla/Lieberman. À Streetville, non loin de Navy Pier, il est intéressant de se balader dans l’imposant bâtiment de brique du River East Art Center, où les galeries ont été aménagées autour de l’atrium central, notamment la galerie Ogilvie/Pertl. Dans le Loop, la Gallery 37, sur East Randolph Street, a été créée pour soutenir les jeunes artistes : c’est à la fois un lieu d’exposition et d’apprentissage.

Le bouillonnant Chicago Cultural Center
Ne manquez pas l’un des plus anciens bâtiments néoclassiques des États-Unis. Il date de 1897 et abrita la première bibliothèque de la ville. C’est aujourd’hui un bouillonnant centre culturel où il se passe toujours quelque chose : expositions, conférences, ateliers artistiques, spectacles. Il héberge aussi l’office de tourisme, un café-restaurant très sympa pour une petite pause et une galerie où sont commercialisées les œuvres de personnes handicapées. Escaliers monumentaux, marbre blanc et mosaïques, dômes Tiffany… le Chicago Cultural Center est surnommé par les Chicagoans le Chicago’s best kept secret, « le secret le mieux gardé de Chicago ». Vous voilà avertis…

Le très épuré Museum of Contemporary Art
Un musée très clair et aéré, à deux pas de la Water Tower. Les quatre étages du bâtiment s’articulent autour d’un puits de lumière, la vue donne sur le jardin et le lac Michigan. Le restaurant Puck’s, qui plonge sur le Sculpture Garden, constitue une halte agréable. Le MCA compte une collection permanente de 2 500 œuvres de 1945 à nos jours, mettant l’accent sur le surréalisme, le minimalisme, la photographie conceptuelle et divers travaux d’artistes basés à Chicago. Problème : seule une petite partie des collections est présentée, l’essentiel de l’espace étant consacré aux expos temporaires. Jusqu’à mi-septembre, Olafur Eliasson est à l’honneur.

L’incontournable Art Institute
Imposant palais néo-Renaissance gardé par deux majestueux lions de bronze, l’Art Institute of Chicago, qui fut édifié en 1893 à l’occasion de l’Exposition universelle, rassemble plus de 300 000 œuvres étalées sur 5 000 ans d’histoire, ce qui en fait un musée de référence aux États-Unis. Il abrite l’une des plus belles collections au monde d’impressionnistes et de postimpressionnistes après Paris. Le 16 mai 2009, une nouvelle aile a été ouverte : la Modern Wing, conçue par l’architecte Renzo Piano, avec un toit qui évoque un flying carpet ; elle accueille, comme son nom l’indique, les collections d’art moderne et contemporain. Espérons que cette nouvelle aile sera l’occasion d’un accrochage plus clair, car jusqu’à présent, les mélanges d’époques, l’imbrication arts plastiques/arts décoratifs s’avéraient assez déroutants.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°614 du 1 juin 2009, avec le titre suivant : Chicago Archi-arty

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