Résidence de villégiature des présidents de la Ve République, le fort de Brégançon ouvre cet été aux visiteurs. Histoire d’un austère fort de défense que de Gaulle transforma en demeure présidentielle plus ou moins appréciée...
La passion des présidents de la Ve République pour Brégançon, qui leur est proposé comme destination de vacances, est très contrastée. François Hollande ne s’est pas particulièrement attaché à cette forteresse sur un îlot escarpé dans la rade de Toulon, face à l’archipel du Levant. Il ne s’y est lui-même rendu qu’une seule fois, avec sa compagne d’alors, Valérie Trierweiler. Paradoxalement, c’est le général de Gaulle, qui ne trouvait guère l’endroit accueillant, qui le transforma en résidence présidentielle. Statut qui change cette année, puisque la résidence d’été des présidents passe sous la tutelle du Centre des monuments nationaux (CMN). Pour le spécialiste de l’architecture militaire, ce château fort est « l’un des plus remarquables exemples préservés de fortification de l’époque capétienne ». Il comporte de beaux restes remontant au XIIIe siècle, « beaucoup mieux préservés » que ceux du château voisin d’Hyères, auquel son sort fut toujours associé, souligne l’historien Christian Corvisier. Il parle du châtelet qui garde le pont-levis, aux deux tours de neuf mètres de diamètre, « parfaite illustration des normes appliquées pour la défense des portes dans l’aire d’influence capétienne après 1200 ». Le château compte un donjon et une « tour beffroi symbolique, visible de loin, qui pouvait avoir une fonction complémentaire de phare ». Entouré d’une enceinte qui épouse le rocher escarpé de cet îlot relié à la terre, il est inscrit dans le périmètre du parc naturel de Porquerolles.
Un fort médiéval
Pour l’historien, le château de Brégançon et celui d’Hyères restent les deux exemples les plus significatifs de la fortification médiévale promue dans le comtat de Provence par la famille du roi de France, signant les ambitions de la Couronne. Le site se renforce ainsi grâce à Charles d’Anjou (1226-1285), frère de Saint Louis, qui porte la guerre jusqu’au fin fond de l’Italie et de l’Orient. En sus de l’Anjou et du Maine, il récupère la Provence par mariage en 1246. Vingt ans plus tard, il devient roi de Naples et de Sicile, où il impose un règne implacable. Dès 1252, il a récupéré de la communauté de Marseille le fort de Brégançon, qui contrôle un petit port où il est possible de débarquer en venant d’Italie. Début 1348 arrive ainsi la redoutable Jeanne d’Anjou fuyant Naples après l’assassinat de son époux, peut-être par son amant. Dans Marseille en liesse, elle jure de respecter les prérogatives de la ville. L’accueil est moins agréable à Aix, où la noblesse lui fait bien comprendre qu’elle n’entend pas renoncer à l’autonomie à laquelle elle s’est habituée. Ayant fait valider par le pape à Avignon son remariage avec son cousin et amant, elle retourne à Naples, en livrant Brégançon à un armateur
marseillais, Jacques de Galbert, qui avait mis ses galères à sa disposition. Nommé généreusement amiral de la flotte du Levant, il peut prélever 240 livres sur la gabelle à Hyères pour maintenir son château en l’état. Erreur : les citadins le mettront à sac. En 1366, la reine Jeanne révoquera toutes les donations qu’elle a concédées lors de son séjour de quelques mois.
Les deux forts se retrouvent emportés par la guerre de succession suivant son emprisonnement à Naples, puis son assassinat en 1382. La bataille pour le contrôle de la Provence oppose les Anjou aux Duras, soutenus par l’union des villes emmenée par Aix. Nommé sénéchal par Charles de Duras, le capitaine génois Balthasar de Spinola reçoit Brégançon pour prix de son ralliement aux Anjou, qui remporteront la victoire. Ce condottiere s’en sert comme base pour rançonner Marseille et Toulon jusqu’en 1406, quand le château lui est racheté par Louis II d’Anjou. La victoire de cette dynastie confirme le rapprochement avec la Couronne de France, qui intègre le comtat en 1481. Deux ans plus tard, prudent, le roi désarme plusieurs forteresses méridionales : les bombardes de Brégançon sont expédiées à Toulon.
La première nuit du général
En 1531, le baron de Saint-Blancard, Bertrand d’Ornezan, y est investi du glorieux titre de marquis des Îles d’Or. Ce qui ne l’empêchera pas, malgré une fière résistance de son frère dans le fort, de se faire balayer par l’amiral génois Andrea Doria, qui prend le contrôle de la côte en 1536 avec les troupes espagnoles. Revenu au royaume de France, Brégançon verra passer Charles IX quelques heures avec Catherine de Médicis en 1564. Les protestants qui l’investissent se font tous massacrer par les troupes catholiques en 1578. Sous l’impulsion notamment de Richelieu, le site devient garnison royale. Bonaparte y séjourne lors de ses expéditions italiennes. Dans les deux guerres franco-allemandes, de 1870 et 1914, elle est encore une place militaire. De 1924 à 1963, elle est louée à des particuliers. La plus grande célébrité qui y met les pieds étant un parlementaire d’Ille-et-Vilaine.
Le 25 août 1964, Charles de Gaulle doit présider le vingtième anniversaire du débarquement allié en Provence. Tous les hôtels sont complets. Un député gaulliste malin encourage le général à y prendre ses logis. Il n’y passera qu’une seule nuit, cauchemardesque, dans un lit bien trop petit, assailli par les moustiques. Mais l’élu convainc le gouvernement de restaurer les lieux, ce qui sera fait par l’architecte de la marine Pierre-Jean Guth, avant de devenir résidence officielle. Le lieu est très apprécié par Georges Pompidou et son épouse Claude, qui l’aménagent avec du mobilier Paulin. « Ce n’est pas un lieu de faste, souligne Bernard Le Magoarou, responsables des sites du CMN dans la région, mais un endroit de détente pour les chefs d’État, qui les humanisent. » Jacques Chirac y retrouve ses amis et se rend à la messe avec Bernadette. Giscard d’Estaing y joue au tennis, Nicolas Sarkozy y fait son jogging. Les paparazzis prennent en photo Carla enceinte sur la plage. Chaque image dit son temps.
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Brégançon tombé aux mains du public
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Abonnez-vous dès 1 €Fort de Brégançon, à Bormes-les-Mimosas (83), ouverture au public le 29 juin, à 14 h.
Accessible uniquement par navette entre le portail et le monument. Départ toutes les 15 min de 9 h à 17 h, sur réservation auprès de l’Office de Tourisme de Bormes-les-Mimosas (04 94 64 82 57). Tarifs : 10 €.
Gratuit pour les moins de 26 ans. www.bregancon.monuments-nationaux.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°670 du 1 juillet 2014, avec le titre suivant : Brégançon tombé aux mains du public