VENISE / ITALIE
Construite au niveau le plus bas de la cité lagunaire, l’église symbole de Venise est rongée par le sel et menacée par les assauts de plus en plus forts des marées. Un congrès international s’est tenu le mois dernier pour faire le point sur la situation et demander à l’État italien « des décisions fortes » pour la protéger.
Venise. Si les flammes ont menacé de complètement dévorer la cathédrale Notre-Dame de Paris, la basilique Saint-Marc de Venise risque d’être totalement submergée par les flots. « Il nous reste très peu de temps, la situation est critique. » C’est le cri d’alarme lancé par Carlo Alberto Tesserin, le procurateur de la basilique érigée en 828, reconstruite après un incendie en 1063 et consacrée en 1094. Mais alors qu’elle traverse son troisième millénaire, les outrages du temps ne représentent pas la principale menace à sa survie. L’acqua alta, le phénomène de marée que Venise subit régulièrement, la ronge inexorablement avec ses inondations d’eaux saumâtres. La dernière en date a fait subir d’importants dégâts à ses mosaïques dont certaines remontent au XIIe siècle. L’acqua alta du 29 octobre 2018 a bien mérité son nom. Avec un pic de 156 centimètres, elle a été la cinquième montée des eaux la plus importante dans l’histoire de la ville frôlant le record de la grande inondation du 4 novembre 1966.
Habituellement les mosaïques ne sont submergées que quelques heures, mais cette fois elles furent inondées seize heures d’affilée, tout comme une partie des colonnes et de nombreux éléments en marbre et en bronze. « L’église a vieilli de vingt ans en 24 heures et je suis sûrement optimiste », déplore Carlo Alberto Tesserin, estimant la réparation des dégâts à 2,7 millions d’euros « en ce qui concerne les travaux les plus urgents » Le reflux des eaux ne règle pas le problème. « La structure du bâtiment est en briques. L’eau salée est un ennemi insidieux qui, en imprégnant les parois trop longtemps, met en risque la bonne tenue des mosaïques en accélérant leur usure et en les rongeant, poursuit le procurateur de la basilique. On nous avait promis que de tels événements ne se reproduiraient plus jamais. Réparer les dégâts de ces fréquentes inondations, à part le coût financier, devient de plus en plus difficile et pourrait s’avérer impossible dans la perspective du changement climatique global. » Difficile surtout de protéger le sol d’une basilique foulé en outre par les pieds d’environ 5,5 millions de touristes en 2018. Elle est construite à 1,65 mètre au-dessus du niveau de la mer et son entrée, qui se situe un mètre plus bas, est envahie par les flots environ 170 fois par an.
L’inondation d’octobre dernier a été celle de trop. Le 13 avril dernier, un congrès international intitulé « La basilique dans le troisième millénaire » s’est tenu à Venise pour faire le point sur son état. « C’est une vieille dame qui a besoin de beaucoup de soins, a expliqué Pierpaolo Campostrini, procurateur en charge des aspects techniques de son entretien. Les travaux au cours de l’année écoulée se sont concentrés sur le narthex (vestibule d’entrée), où se trouvent certaines des mosaïques les plus précieuses. » Un système de vannes et de pompes, dont le coût est d’environ 2 millions d’euros a ainsi été installé pour réduire de 70 % les inondations. Il a déjà fait ses preuves, puisque lors du dernier épisode d’acqua alta le narthex a été épargné. De nouvelles technologies devraient prochainement être mises en œuvre pour assécher les murs et mieux les protéger des remontées d’humidité.
Si l’eau est la principale ennemie de la basilique, elle n’est pas la seule. « À plusieurs reprises le vent sirocco a fragilisé sa structure, a expliqué Carlo Alberto Tesserin. Il est temps de prendre des décisions fortes. »
Les gardiens de la basilique demandent à l’État italien de prendre ses responsabilités, mais surtout de respecter ses promesses. Celles des accords signés en 1973 avec la Ville de Venise après les inondations de 1966. L’idée de la construction de Mose (module expérimental électromécanique), grand projet de digue destiné à protéger la lagune de la montée des eaux, remonte à cette époque. Les travaux n’ont commencé qu’en 2003 et ne sont pas encore achevés après toute une série de scandales de corruption, de problèmes techniques et d’explosion des coûts. En attendant sa mise en service, Pierpaolo Campostrini souhaite que les autorités publiques ne se contentent pas de débloquer les fonds nécessaires à la conservation de la basilique, mais qu’« elles favorisent la contribution des entreprises, des particuliers et des mécènes en l’incluant dans la liste des monuments qui peuvent bénéficier de l’Art bonus », un crédit d’impôt de 65 % d’un don pour des projets de restauration.
Ils pourront s’inspirer de San Marco. La basilica di Venezia. Arte storia conservazione, trois volumes qui viennent d’être publiés aux éditions Marsilio et présentés au cours du congrès international réuni le mois dernier. Soixante scientifiques et historiens de l’art y font le point sur les chantiers de ces trente dernières années tout en proposant des pistes pour ceux qui pourraient bientôt s’ouvrir. « La basilique est un organisme vivant, le plus bel exemple vénitien de résilience aux attaques et aux changements climatiques », ont insisté les participants au congrès qui ne veulent pas se résoudre à sa disparition prochaine.
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Basilique Saint-Marc, l’état d’alerte
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°524 du 24 mai 2019, avec le titre suivant : Basilique Saint-Marc, l’état d’alerte