DUNKERQUE
Après huit ans de fermeture pour travaux de rénovation, le Musée d’art contemporain (MAC) de Dunkerque, inauguré en 1982, rouvre ses portes au public. Transformé en Lieu d’art et d’action contemporaine (LAAC), l’établissement se veut inscrit dans son territoire et ouvert à la création actuelle, ainsi que l’explique sa directrice Aude Cordonnier.
Pourquoi passer du MAC au LAAC ?
Nous voulions un nom évocateur d’un espace, d’une atmosphère, avec une connotation plus symbolique, chargée affectivement. Très vite, il est apparu que l’inscription du musée dans un jardin de sculptures, poétique et surprenant, avec ses grandes étendues d’eau, en constituait l’un des éléments les plus forts. D’où son nom de LAAC (lac), qui fait aussi allusion à la ville portuaire, structurée de canaux, et à la Piscine de Dunkerque, l’espace culturel de l’université. Par ailleurs, nous ne souhaitions pas l’intituler musée, parce que ce terme effraie un certain nombre d’habitants. Le projet était très clairement ouvert sur l’extérieur : la collection sera revisitée et présentée hors les murs. Elle devrait s’étendre et « s’épandre », pour reprendre un terme de César, dans tout le territoire.
Justement, comment réussir à faire du LAAC un lieu ouvert et en prise avec son époque à travers des œuvres des années 1950-1970 ?
On ne peut plus dire, effectivement, que le musée est contemporain, d’où le terme d’« action contemporaine ». À commencer par le forum, conçu par Stéphane Calais, pour accueillir des manifestations d’art vivant, de danse, musique, théâtre, des défilés de mode, des performances. L’action s’exprime aussi dans les commandes passées à des artistes pour qu’ils investissent le lieu, à travers leurs propres créations, à travers des cartes blanches pour mettre en œuvre eux-mêmes la collection. La musique sera aussi présente régulièrement avec des diffusions sonores par haut-parleurs. Nous travaillons en partenariat avec le FRAC [Fonds régional d’art contemporain] Nord-Pas-de-Calais et l’école d’art de Dunkerque (l’ERBA), ainsi que les ateliers d’artistes « La Plate-Forme ». Pour notre inauguration, nous exposons le travail de huit artistes réunis dans un projet, « Mythomania », à l’instigation de Peter Fillingham, plasticien anglais invité en résidence à Dunkerque à la demande de La Plate-Forme dans le cadre de son partenariat avec l’association White Window.
Regroupées selon les principaux mouvements (lire l’encadré) des années 1950-1970, les œuvres semblent en réelle harmonie les unes avec les autres, dans un dialogue constant avec le lieu. Comme s’est déroulée la collaboration avec les architectes ?
Le cabinet Benoît Grafteaux et Richard Klein Architectes a travaillé avec nous à une pré-programmation pour élaborer la programmation finale. Cela a permis de parvenir à une véritable complicité. Leurs réflexions ont enrichi les nôtres et nous ont emmenés sur des éléments auxquels nous n’avions pas pensé. De même, ce travail en commun a permis aux architectes de cheminer avec nous. Par exemple, je souhaitais mettre de la fantaisie dans ce lieu. Ils ont retenu une proposition simple et sobre, qui s’inscrit dans l’architecture initiale de façon modulable : un anneau coloré de lumière dans le forum, la présence discrète d’orange et de vert…
Quelle est la politique d’acquisition du LAAC ?
Il n’est pas question d’aller jusqu’à la période contemporaine, parce que les vides sont béants et que le FRAC est sur place. De même, nous ne cherchons pas à remplacer les mouvements artistiques absents, comme l’Arte povera ou le Minimal Art, qui se trouvent d’ailleurs dans la collection du FRAC. En revanche, nous cherchons à combler les lacunes de la collection : nous sommes en train d’acheter un Jean Bazaine pour la partie abstraction lyrique et il nous faut absolument un Jorn pour l’ensemble CoBrA, le must du LAAC. Pour certains artistes, nous ne disposons que d’œuvres tardives (c’est le cas pour Manessier) ; d’autres sont seulement représentés par des œuvres isolées et donc peu lisibles… Enrichir la collection peut aussi signifier obtenir des dépôts ou des prêts de longue durée. Les achats se feront au compte-gouttes. Pour les acquisitions d’artistes contemporains, en résonance avec la collection, nous devons être très vigilants, ne pas nous éparpiller. La grande spécificité du musée est son cabinet d’art graphique, qui occupe tout le deuxième niveau. C’est un domaine où nous achèterons plus facilement.
Le LAAC s’insère dans un plan global d’urbanisme avec la réhabilitation d’un quartier entier, baptisé Neptune, sur les anciens chantiers navals…
J’irai même plus loin. Je pense que la collection n’aurait pu exister ailleurs qu’à Dunkerque. Il fallait être assez fou, dans les années 1970, pour pouvoir, comme l’a fait Gilbert Delaine, seul et sans argent, décider que l’art contemporain était tellement vital qu’il devait absolument être présent dans la ville de Dunkerque. Son audace incroyable était vraiment le miroir de ce far-west qu’était Dunkerque à l’époque, où tous les jours surgissaient de nouvelles rues, de nouveaux bassins… Aujourd’hui, le LAAC doit relever le défi : être à nouveau le miroir de cette ville en mouvement, qui se transforme autour du chantier Neptune. Nous sommes partenaires du projet d’urbanisme qui comprend aussi l’extension du jardin des sculptures. Avec l’ERBA, la Plate-Forme, le Musée du dessin et de l’estampe originale de Gravelines, le FRAC, nous travaillons en commun pour que l’art contemporain soit au cœur de la cité.
LAAC – Lieu d’art et d’action contemporaine de Dunkerque, pont Lucien-Lefol, 59140 Dunkerque, tél. 03 28 29 56 00, tlj sauf lundi. À lire : hors-série L’Œil, 34 p., 5 euros. - Surface d’exposition : 1 600 m2 - Coût des travaux : 1 million d’euros - Budget de restauration/ rénovation : 500 000 euros
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Aude Cordonnier, directrice du Lieu d’art et d’action contemporaine (LAAC), à Dunkerque
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Abonnez-vous dès 1 €Ingénieur passionné d’art contemporain, Gilbert Delaine démarre sa collection dans les années 1970, s’appuyant sur la loi Malraux de 1961 sur le mécénat et l’accord des artistes et galeristes de lui offrir, pour chaque œuvre achetée, une pièce de même valeur. Parallèlement, il réussit à convaincre la municipalité de Dunkerque de créer un musée en échange du legs total de sa collection. Riche de presque un millier d’œuvres (peintures, sculptures, assemblages, dessins et estampes), celle-ci s’organise autour de grands ensembles comme l’art abstrait non géométrique et la seconde école de Paris, avec Manessier, Poliakoff, Soulages, Hartung, Debré, Mathieu ou Sam Francis. Elle fait la part belle à l’esprit CoBrA à travers notamment la série sur le « Cirque » de Karel Appel ou les encres d’Alechinsky et de Dotremont. Elle comprend encore des œuvres de César et Arman, particulièrement bien représentés, Niki de Saint Phalle, Viallat, Jaccard, Vasarely...
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°219 du 8 juillet 2005, avec le titre suivant : Aude Cordonnier, directrice du Lieu d’art et d’action contemporaine (LAAC), à Dunkerque