PARIS
Universcience, l’établissement public qui gère ce musée, entend profiter des travaux du Grand Palais pour remodeler l’orientation du Palais de la découverte, jusqu’alors focalisée sur l’initiation aux savoirs fondamentaux : une proposition mal accueillie par une grande partie de la communauté scientifique.
Paris. De la friction entre deux éléments jaillissent des étincelles : voilà qui pourrait être le sujet d’une des fameuses expériences proposées au Palais de la découverte. Pour l’heure, le phénomène s’observe entre la communauté scientifique et la direction d’Universcience, l’établissement public gestionnaire de la Cité des sciences et de l’industrie comme du musée qui occupe l’aile ouest du Grand Palais. Dans une tribune publiée le 17 novembre sur le site du Monde, cosignée par sept Prix Nobel et un grand nombre d’académiciens, le monde scientifique élevait – tardivement – la voix contre la fermeture pour cinq ans de ce « temple républicain de la rationalité ». Partagé entre la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (RMN-GP) et Universcience, le bâtiment du Grand Palais est entré dans sa première phase de travaux fin novembre.
Derrière la critique d’un projet de restauration qualifié de « superflu et délirant », malgré l’abandon de sa mouture la plus dispendieuse par le ministère de la Culture, les scientifiques craignent de perdre l’identité d’un lieu auxquels ils sont farouchement attachés. « La beauté, le charme du Palais de la découverte, c’est que l’on y voit physiquement des expériences en marche », explique Sébastien Balibar, physicien membre de l’Académie des sciences. Les expériences et leur présentation par des médiateurs hautement qualifiés font en effet toute l’originalité de ce lieu.
Adopté début 2019, le projet scientifique et culturel (PSC) du futur Palais de la découverte est la source première des inquiétudes des défenseurs du lieu. « Un PSC est toujours un projet détaillé, alors que ce document de soixante pages est extrêmement flou, indique un cadre du Palais de la découverte. Malgré de bonnes intentions orales, ce qui est écrit n’inspire pas confiance. On a le sentiment qu’il y a un loup quelque part. » Pour ce membre du personnel du musée qui préfère garder l’anonymat, la restauration est nécessaire et la restructuration justifiée : « Certaines salles ne sont exploitées que quatre heures par jour. Quand on réfléchit en termes de rentabilité au mètre carré, je comprends que ce soit difficilement supportable », concède-t-il. Mais l’esprit du Palais de la découverte est-il conservé dans le nouveau PSC ? « Nous craignons d’arriver à quelque chose de beaucoup moins expérimental, et qui passera beaucoup plus par les écrans. » Si des indices dans le document laissent présager de cette orientation, rien ne le dit clairement. « On nous reproche de faire un procès d’intention, mais depuis la fusion de la Cité des sciences et du Palais de la découverte il y a dix ans, nous sommes fortement phagocytés par les méthodes de fonctionnement d’Universcience », se justifie le cadre.
De son côté, l’établissement public se veut rassurant, et affirme que la médiation et l’expérience seront toujours au cœur du Palais de la découverte : « C’est son ADN et il va le garder ; remplacer la médiation humaine par des écrans n’est pas du tout à l’ordre du jour », assure Anne-Claire Amprou, sa directrice générale déléguée. La diminution des surfaces allouées au musée scientifique (- 38 %) cristallise tout autant les critiques, auxquelles est apportée une réponse tout aussi claire : « Les surfaces dévolues à l’offre culturelle sont maintenues,c’était un engagement fort de la présidence, rappelle Anne-Claire Amprou. Les 7 000 mètres carrés perdus n’étaient affectés à rien. »
Au-delà du métrage des surfaces, c’est l’aménagement et l’affectation de ces dernières qui sont mis en cause. Composé de blocs cloisonnés attribués chacun à une discipline (physique, chimie, astronomie, sciences de la vie, mathématiques, géosciences, informatique et sciences du numérique), le Palais de la découverte sera dans le futur organisé sur le mode de la galerie. Un parcours qui présente des intérêts, comme l’introduction de « points d’interrogation » artistiques, mais qui transforme radicalement la médiation. « Parmi les points incontournables du projet, il y a la diminution du nombre de salles, qui deviennent polyvalentes et couvrent plusieurs disciplines, explique le cadre du Palais de la découverte, mais une salle consacrée à la physique doit déjà être polyvalente. Tout ça entraîne un appauvrissement des contenus. » Et l’abandon des grands dispositifs qui font la réputation du lieu, comme l’accélérateur de particules, le manège inertiel ou l’électro-aimant. « Nous allons garder quelques grandes “manips”, mais en inventer d’autres, annonce Michèle Antoine, directrice des expositions à Universcience. En 1937, Jean Perrin [physicien fondateur du Palais de la découverte] travaillait avec des chercheurs pour créer ses expériences, nous allons faire la même chose. Et c’est enthousiasmant ! »
Le rejet du projet scientifique et culturel par une partie du personnel du Palais de la découverte et de grands noms du paysage scientifique – parmi lesquels trois anciens directeurs du musée – tient aussi à un désaccord profond sur ce que devrait être ce musée. « Nous nous intéressons aux fondements de la science alors qu’à la Villette on traite des problèmes transversaux. Ici on ne parlera pas du problème des OGM, mais plutôt de ce qu’est un gène», rappelle le cadre opposé au PSC, qui ne souhaite pas voir le Palais de la découverte devenir une « Cité des sciences-bis ».
La direction d’Universcience entend quant à elle développer un lieu « conversationnel » où les visiteurs seraient également des « concepteurs », un musée qui serait le relais de l’actualité de la recherche, et dont le but ne serait pas de « combler les lacunes » sur le plan des connaissances, mais plutôt de présenter la démarche scientifique. « Ça sera beaucoup moins “salle de classe”», résume la directrice générale déléguée. Et plus transversal, comme l’indique l’introduction de thématiques saisonnières.
Pour Sébastien Balibar, cette orientation du PSC est « aussi prétentieuse qu’absurde ». « Sous la thématique “Beauté” par exemple, on rassemble les substances hallucinogènes et la “théorie du tout”, qui est une théorie d’une rare difficulté à apprendre comme à expliquer… Quel rapport entre tout cela ? », s’interroge le physicien. « Polyvalence », « transversalité », « concepteurs » : ces notions si valorisées dans le milieu muséographique ne font pas partie du vocabulaire des scientifiques, attachés à la transmission des connaissances par l’expérience. « Le nombre de confrères qui m’ont confié avoir trouvé leur vocation scientifique au Palais de la découverte est considérable », ajoute Sébastien Balibar.
Avec quelques collègues académiciens, le scientifique a un temps engagé des discussions avec l’équipe dirigeante d’Universcience, discussions qui se sont révélées un « échec complet ». Désormais, il imagine bien le Palais de la découverte quitter le bâtiment du Grand Palais pour une destination « où il serait tranquille pour développer ses activités »,à Paris ou ailleurs. Son vœu sera à moitié exaucé : durant toute la durée des travaux, un Palais de la découverte éphémère accueillera les visiteurs dans le parc André-Citroën (Paris-15e). Avec trois salles pour couvrir six disciplines, les médiateurs pourront s’exercer à l’art de la polyvalence sous ces chapiteaux temporaires baptisés « Les Étincelles ».
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Au Palais de la découverte, un projet scientifique et culturel contesté
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°557 du 11 décembre 2020, avec le titre suivant : Au Palais de la découverte, un projet scientifique et culturel contesté