Manifestations, menaces, coups de force, les religieux israéliens multiplient les signes d’hostilité à l’égard des archéologues. Forts du soutien de Benjamin Netanyahou, les ultra-orthodoxes souhaitent étendre leur contrôle aux fouilles archéologiques et empêcher l’étude des ossements trouvés dans les tombes.
Quoique l’archéologie se porte bien en Israël – plus de 30 000 sites archéologiques sont exploités aujourd’hui et il existe cinq facultés, contre une seule il y a trente ans –, elle est de plus en plus menacée par l’opportunisme politique et religieux du gouvernement Netanyahou. “Je travaille sur des fouilles à Jérusalem depuis 1969 et j’ai vu cette guerre s’intensifier, mais la situation a nettement empiré ces dernières années, depuis que les ultra-orthodoxes ont appris comment utiliser la démocratie à leurs propres fins dans l’actuelle coalition”, déclare Ronny Reich, directeur des fouilles pour l’IAA (le service des Antiquités israéliennes) et responsable de la zone sud-ouest du Mont du Temple, à Jérusalem : ce site, qui comprend des vestiges juifs, chrétiens et païens, est l’un des plus importants lieux de fouilles en Israël.
Le 1er juillet, plusieurs centaines d’archéologues ont brisé des urnes en terre cuite devant le Parlement israélien afin de protester contre l’intention de Benjamin Netanyahou de donner aux Juifs religieux le contrôle des sites archéologiques. Leur inquiétude principale portait sur l’éventuel remplacement d’Amir Drori, le très respecté directeur de l’IAA. Avec une faible majorité de 61 sièges contre 59 à la Knesset, le Premier ministre a dû passer un accord avec les quatre représentants du Parti judaïque ultra de la Torah, qui menaçait de quitter la coalition du gouvernement à moins de pouvoir contrôler l’exhumation des squelettes. Jusqu’à maintenant, Amir Drori, ancien général, a refusé de céder aux pressions des ultra-orthodoxes : “Nous nous battons pour que l’archéologie puisse continuer”, a-t-il déclaré.
Une preuve du droit à la terre d’Israël
En 1948, l’archéologue Eleazar Sukenik achetait le premier manuscrit de la mer Morte à un marchand de Bethléem. La découverte d’anciens textes bibliques semblait coïncider avec la fondation de l’État d’Israël et annonçait ce que l’on a appelé l’âge de l’archéologie sioniste, où les vestiges étaient considérés comme une preuve du droit juif à la terre d’Israël. Au cours des décennies suivantes, l’archéologie a permis aux citoyens du nouvel État de rechercher leurs racines, et son importance n’a jamais été remise en cause par les gouvernements successifs. En effet, certains généraux de l’armée étaient eux-mêmes archéologues, le plus célèbre étant Yigael Yadin, le fils de Sukenik et le fouilleur de Massada.
Mais tout comme les manuscrits de la mer Morte, les richesses archéologiques de la nation ont suscité des controverses que n’auraient pu imaginer les premiers chercheurs. L’archéologie est devenue l’un des points forts des divergences entre religieux et laïques. L’enlèvement des ossements sur les sites de fouilles est le sujet de l’affrontement le plus médiatisé. Pour l’instant, un compromis a été trouvé entre les scientifiques et les factions ultra-orthodoxes : il stipule que les tombes découvertes dans les lieux de fouilles ou de construction doivent être déclarées immédiatement au ministère des Affaires religieuses. Si les délais de construction sur un site ne permettent pas une fouille complète, un rabbin se charge des ossements pour les enterrer de nouveau le jour même, laissant aux archéologues peu de chances de les analyser, quelle que soit la religion du défunt. L’IAA estime que sur les 3 000 tombes découvertes chaque année, seules 5 % sont juives. “Peu importe que vous trouviez des tombes ou des os humains, déclare Shimon Gibson, archéologue de terrain et chef des recherches au département des Fouilles et des Études de l’IAA. J’étais en train de fouiller un réseau hydrographique souterrain dans la ville de Modi’in (d’où viennent les Macchabées) avant qu’une école soit construite. Les ultra-orthodoxes m’ont jeté des pierres et ont crié coupez-lui les mains. Ils ont même essayé de forcer ma voiture pour y voler une boîte contenant des os de cochon, car ils m’accusaient de les avoir volés dans des tombes juives.”
Préparer la fin des temps
Néanmoins, les opposants ultra-orthodoxes ont continué de manifester violemment contre les fouilles, entrant par effraction sur des sites, brûlant des voitures de l’IAA et même un de ses bureaux à Hahalal, causant ainsi la destruction de nombreuses archives. La raison religieuse avancée est la suivante : le jour où le Messie viendra, à la fin des temps, pour rassembler les ossements des Juifs et leur redonner vie, il ne pourra pas les retrouver. En réalité, il n’existe pas de loi juive contre l’exhumation et la remise en terre des ossements. “Nos ancêtres ont donné la priorité aux vivants, affirme Ronny Reich. Les tombes étaient considérées comme impures. Quand une ville s’agrandissait, il y a 2000 ans, les rabbins déplaçaient les tombes et ensevelissaient les cadavres de nouveau. Ils ont même laissé des indications écrites sur la façon dont cela devait être effectué”. Aujourd’hui, les rabbins qui ont approuvé les nouvelles sépultures ont reçu des menaces de mort des extrémistes ultra-orthodoxes.
Cette récupération politique a eu des répercussions néfastes. Des données importantes ont été perdues, insiste Patricia Smith, professeur d’anthropologie physique à l’Université hébraïque de Jérusalem, qui travaille sur des ossements anciens. “Ce sont des fanatiques qui ont choisi une interprétation spécifique de la loi juive concernant les sépultures. Il y a cinq ans, après un examen scientifique minutieux, les ossements étaient rendus aux rabbins. Aujourd’hui, ils doivent immédiatement leur être transmis”. Le problème de l’exhumation des ossements est mondial ; il a également été soulevé en Australie et aux États-Unis, remarque Patricia Smith, qui a cessé d’analyser les ossements de moins de 5000 ans. “Au niveau scientifique, un grand nombre d’informations génétiques exceptionnelles pouvant répondre à des questions vitales concernant les populations anciennes dans ce pays sont en train d’être détruites – des questions majeures telles que l’identité des Phéniciens, des Philistins –, ainsi que des questions concernant les types de maladies à travers le temps”.
Une archéologie “post-sioniste”
En attendant, en dehors de l’arène politique et religieuse, l’archéologie israélienne est entrée dans ce que beaucoup appellent un âge “post-sioniste”, plus scientifique et moins marqué par les exigences nationalistes. “En réévaluant les preuves sur des sites majeurs comme Megiddo, et maintenant dans la ville de David à Jérusalem, nous pensons que notre conception de la grande époque du roi David a peut-être été exagérée”, explique Yigael Roman, du magazine Eretz. “Ce processus d’interrogation est identique à celui portant sur l’identité de l’auteur de la Bible, question qui a émergé après la découverte des manuscrits de la mer Morte dans les années quarante”. Un tel point de vue ne constitue pas une révolution, insiste-t-il, mais plutôt un “réalignement”. “Considérez la terre que nous avons aujourd’hui en Israël. Tel-Aviv et la plaine côtière ont appartenu aux Philistins, puis aux Romains, pas aux Juifs. La plupart des choses que nous découvrons ici aujourd’hui ne vont pas prouver notre droit sur cette terre, déclare Yigael Roman. La Judée et la Samarie sont la terre de la Bible et elles appartiennent aux Palestiniens. Les seuls personnes qui insistent pour y rester sont les colons, principalement des Américains à la recherche de leurs racines”. Ce réalignement a bénéficié à l’archéologie chrétienne, islamique, byzantine et à celle des Croisés, sur des sites comme la ville romaine de Césarée où vient d’être découverte la prison dans laquelle saint Paul fut enfermé.
Ce sont maintenant les archéologues palestiniens qui ont recours à l’archéologie pour faire valoir leur droit héréditaire à la terre : ils recherchent leur héritage dans les vestiges des Cananéens qui ont été chassés de leur terre par les Hébreux. “La recherche de ses racines est une chose naturelle, qui est apparue avec la naissance de l’État, souligne Shimon Gibson. Israël a mis longtemps à s’éloigner d’une archéologie teintée de nationalisme. Quant aux Palestiniens, même s’ils ont des partis pris, cela ne signifie pas qu’ils ne pratiquent pas une archéologie scientifique.”
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Archéologie : les os de la discorde
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°68 du 9 octobre 1998, avec le titre suivant : Archéologie : les os de la discorde