Canada

Après le boom, la morosité

La restriction des budgets se généralise

Le Journal des Arts

Le 1 septembre 1994 - 999 mots

Depuis 1986, au Québec et au Canada, une quinzaine de nouveaux musées d’importance ont poussé comme des champignons. À Montréal, aiguillonnés par les célébrations du 350e anniversaire de la ville il y a deux ans, pas moins de quatre musées ont emménagé dans des bâtiments neufs. Après l’éclosion vient le temps de la gestion, avec des budgets réduits et la recherche de solutions.

MONTRÉAL - Ouvert en 1988, à Ottawa la capitale fédérale, le Musée des beaux-arts du Canada a vu au fil des ans son budget de fonctionnement sabré, alors que l’État fédéral n’avait pourtant pas hésité à investir 162 millions de dollars canadiens dans sa construction. "D’ici 1997, notre budget qui est actuellement d’environ 28 millions de dollars va encore diminuer de 10 %", explique Shirley Thomson, dont le mandat de directrice vient d’être reconduit.

Depuis 1992, à travers le Canada, l’aide aux musées du nouveau ministère du Patrimoine canadien a diminué de 26 %, et des baisses de 5 à 10 % sont annoncées pour 94-95. Passant de 42,5 millions en 1990 à 62,5 millions de dollars canadiens (environ quatre fois plus en francs) en 1993, les subventions du ministère de la Culture du Québec ont été figées pour désormais décroître.

Gel des salaires ; réduction des effectifs ; suppression ou ralentissement des activités de certains services ; contrôle strict et gestion resserrée... la panoplie des mesures envisagées varie d’un musée à l’autre.

"Nous allons essayer de faire plus avec moins, se désole Shirley Thomson. Cela ne sera pas facile. Heureusement, nos  budgets d’acquisitions, totalisant trois millions de dollars, sont préservés, tout comme seront sauvegardées ces grandes expositions internationales qui sont pour nous une tradition."

Après "Egyptomanie", le Musée des beaux-arts du Canada – National Gallery of Canada – accueillera l’été prochain une sélection des tableaux de la reine Elisabeth II, avant de coproduire en 1996, avec le Metropolitan Museum et la Réunion des musées nationaux, la rétrospective Corot, marquant le bicentenaire de la naissance de l’artiste.

Recherche de fonds et stimulation de la fréquentation sont également des réponses aux défis imposés par la récession. À Toronto, l’Art Gallery of Ontario a fermé ses portes durant six mois, à la suite d’une crise financière coïncidant avec l’achèvement des travaux de sa nouvelle aile en 1992. Effaçant cette expérience traumatisante, un don d’un million de dollars du secteur privé aidera le musée de Toronto à installer, du 17 septembre au 31 décembre, les chefs-d’œuvre de la Fondation Barnes : 500 000 visiteurs sont attendus pour cette seule escale canadienne.

Avec un peu moins de 500 000 visiteurs par année, et l’attrait d’un nouveau pavillon de 86,3 millions de dollars qui a été achevé en 1992 par Moshe Safdie, le Musée des beaux-arts de Montréal table sur des succès d’affluence pour réduire sa dépendance envers des subventions provenant surtout du gouvernement québécois. "Notre budget, d’environ 24 millions de dollars au moment de l’ouverture de la nouvelle aile, est passé à 22 millions" se plaint le directeur Pierre Théberge.

"Il nous faut préserver ce qui fait notre force : les grandes expositions internationales visant à briser un certain isolement culturel. Nous préparons avec Didier Ottinger, conservateur au Musée des Sables d’Olonne, une exposition sur Magritte en 1996.

L’artiste y sera abordé à travers la récurrence obsessionnelle de certains sujets." Entre le Grand Siècle français, Lichtenstein ou Tamara de Lempicka, la programmation peut apparaître éclectique : "Notre mission est de couvrir toutes les périodes de l’histoire de l’art. Nous voulons faciliter l’accès du musée au plus grand nombre, d’où notre action éducative et une approche didactique adaptée à nos publics."

Afin de minimiser les risques et d’accroître le nombre de visiteurs, Pierre Théberge fait cohabiter de grandes expositions ayant un grand impact sur le public et de vastes projets multidisciplinaires tels que "Les Années 20. L’âge des métropoles", monté en 1991 par Jean Clair.

Deux publics visés
L’été prochain, "50 chefs-d’œuvre du design automobile" stationneront dans la nouvelle aile face à "Paradis perdus - L’Europe symboliste". À l’antithèse de la culture de la machine, 500 peintures, photographies et objets d’art, rassemblés par une équipe scientifique dirigée à nouveau par Jean Clair, brosseront le portrait des états d’âme et des intuitions visionnaires de l’Europe symboliste au crépuscule du siècle dernier. "Nous espérons toucher simultanément deux publics", indique le directeur. Ce voisinage profitera également au financement des expositions, car les bénéfices générés par l’exposition sur l’automobile (coût : 2 millions de dollars) seront affectés à l’organisation de l’exposition sur le symbolisme (3 millions de dollars).

Les acquisitions ne représentent que 300 000 dollars, à peine un million de francs, provenant exclusivement de sources privées. Mais des revenus d’environ 2 millions de dollars émanant d’un fonds en cours de constitution leur seront consacrés dans cinq ans.

Tout en diminuant son aide, le ministère de la Culture québécois envisage également la possibilité de ne plus placer d’autres institutions sous sa tutelle, et de réviser ses modalités de subventions.

Le Musée d’art contemporain de Montréal, qui a déménagé en centre-ville en 1992 dans un bâtiment ayant coûté 34,5 millions de dollars, a vu également ses moyens se réduire, passant de 9,1 millions de dollars en 92 à 8 millions en 93-94. Pourtant, le musée a pu attirer 178 000 visiteurs en 93-94, soit quatre fois plus que lorsqu’il était sur son ancien emplacement. Autre musée d’État relevant du Gouvernement du Québec, le Musée du Québec à Québec, rénové en 1990, a dû comprimer ses dépenses en 93-94 de 13 à 10 millions de dollars.

À la suite de la victoire à Ottawa des Libéraux de Jean Chrétien, le 25 octobre 1993, et la promesse de crédits, avec l’espoir d’une relance économique, pour le nouveau ministère du Patrimoine canadien, ces tendances à la baisse pourraient être enrayées. Reste à savoir si l’éventuelle générosité des Libéraux, inspirée par leur vision traditionnellement centralisatrice, ne se heurtera pas aux susceptibilités nationalistes des "souverainistes" du Parti Québécois que la majorité des sondages annoncent comme vainqueur aux élections québécoises du 12 septembre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°6 du 1 septembre 1994, avec le titre suivant : Après le boom, la morosité

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