Antoinette Faÿ-Hallé, conservateur du Musée national de céramique, à Sèvres, présente une paire de pichets en faïence du XVIIe siècle attribués à Johann Christopher Fehr, une œuvre acquise récemment.
La dernière acquisition du Musée national de Céramique de Sèvres est l’une des plus prestigieuses qu’il lui ait été donné de faire au cours de ces dix dernières années : une paire de pichets en faïence (de Delft ?), ornés en camaïeu pourpre de petit feu à Francfort-sur-le-Main vers 1690 par Johann Christopher Fehr et montés de couvercles en vermeil à Nuremberg par Hermann Lang.
Au milieu du XVIIe siècle, les capitaux engrangés par les actionnaires de la Compagnie des Indes néerlandaises avaient été investis dans la création d’une puissante industrie faïencière à Delft, dont les produits inondèrent l’Europe du Nord. Les Allemands les plus riches avaient pourtant les moyens de se faire créer des céramiques à leur propre usage. Pour ces clients, des hausmaler (chambrelans en français ) formés à l’art de l’émail sur cuivre, ou de la peinture sur verre, se spécialisèrent dans la reproduction de gravures sur des pichets ou des coupes en faïence qu’ils achetaient en blanc. Généralement, leur style est miniaturiste, leurs reproductions sont en grisaille et leurs pièces sont marquées et datées. Les pichets du musée de Sèvres se distinguent radicalement de cette production à laquelle ils appartiennent cependant.
Leur attribution à Johann Christopher Fehr (1636-1693) repose sur une mention de son inventaire après décès : on trouvait alors dans son atelier « de fins pichets à décor en pourpre ». On connaît une série de ces pièces, coupes ou pichets, à décor en camaïeu pourpre, qui porte parfois la lettre « F » : pour « Francfort », où vivait Fehr, ou pour « Fehr » ? Peu importe.
La monture en vermeil porte un poinçon de Nuremberg, attribué à Hermann Lang. Elle se compose d’une protection de la base des pichets et de couvercles ornés au repoussé d’une anémone entourée de rinceaux d’acanthe. Ces motifs en relief sont très caractéristiques de l’art du métal de ce temps, mais leur emploi sur des couvercles en vermeil est rare : les couvercles unis, en étain, ont été les plus employés.
Les pichets sont donc ornés de peintures en camaïeu rose. Cette couleur avait été découverte par un chimiste de Leyde, Cassius ; en France, il fallut attendre le milieu du XVIIIe siècle pour que son usage soit maîtrisé. Le décor représente deux jeunes aristocrates assis, se regardant, chacun muni d’une houlette de berger, l’homme ayant à ses pieds un mouton et tendant à la jeune femme un objet rond (un fruit ?) qu’elle semble accepter de la main droite. S’agit-il d’une image relative à l’alliance de ces deux personnages, qui ont derrière eux des bois, de grosses demeures, des cours d’eau, référence aux biens dont ils seraient dotés ? L’évocation du berger serait alors une évocation quasi christique de leur rôle de rassembleurs de territoires. Ou bien s’agit-il, plus modestement, de l’allusion à l’un ou l’autre roman du type de L’Astrée qui a été traduit en allemand en 1650 et qui a connu dans cette langue un vif succès ? La découverte des modèles gravés qui ont dû servir à la création de ces images nous permettra peut-être de répondre un jour à ces questions.
Quoi qu’il en soit, l’ampleur du style de ces figures est d’une liberté, d’une maîtrise unique en son genre, à cette génération, sur faïence. L’acquisition de ces pichets constitue bien, pour notre patrimoine, un enrichissement remarquable.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Antoinette Faÿ-Hallé
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°192 du 30 avril 2004, avec le titre suivant : Antoinette FaÁ¿-Hallé