Reconnaissance internationale des listes rouges, record du nombre de membres… à l’heure de fêter ses 70 ans, l’Icom a gagné en maturité et est devenue une référence pour les professionnels des musées du monde entier.
« Pour la carte ! ». À la question « pourquoi êtes-vous membre de l’Icom », c’est la boutade racontée par de nombreux adhérents, réunis à Milan en juillet dernier pour la 24e conférence générale du Conseil international des musées (Icom, en anglais). La fameuse carte offre la gratuité dans presque tous les musées du monde. Derrière l’ironie reste une trace de l’ancien temps : jusqu’à récemment, hormis ses membres, peu nombreuses étaient les personnes à réellement connaître l’Icom et son rôle. Fondé en 1946 à Paris par l’Américain Chauncey J. Hamlin et le Français Georges Salles, l’Icom a rapidement été reconnu par l’Unesco comme un partenaire scientifique légitime (dès 1947), mais a de ce fait vécu dans l’ombre de la prestigieuse agence culturelle des Nations unies.
Une récente légitimité
Perçu comme une confrérie studieuse, mais bureaucratique, de professionnels des musées sans réel pouvoir, l’Icom s’est développé difficilement. Il a fallu attendre les années 1990 pour en finir avec les déficits chroniques à la faveur de nouvelles adhésions massives. Aux présidences tournantes exclusivement européennes et nord-américaines ont succédé des personnalités africaines et asiatiques depuis les années 1990. L’internationalisation et la professionnalisation des métiers du musée ont été la clé d’une légitimité tardive. Cette histoire de soixante-dix ans sera visible cet automne au siège de l’Unesco à Paris, avec l’accrochage de l’exposition créée pour la Conférence Générale de Milan « Where Icom From » (1).
De l’avis de dizaines de directeurs de musées, « l’Icom a énormément changé depuis vingt ans ». Aujourd’hui, ses missions sont mieux identifiées par ses 38 000 membres. « Je mesure l’impact de l’Icom au quotidien dans mon travail, d’abord parce que son code de déontologie est toujours sur mon bureau et que je m’en sers. » Valérie Guillaume, directrice du Musée Carnavalet, cite le code (lire encadré) comme un outil fondateur, à l’instar de Merete Ipsen, fondatrice d’un Musée de la femme au Danemark ou de Chang In Kyung, à la tête d’un petit musée rural en Corée. Pour Éric Dorfman, directeur du Carneghie Museum d’histoire naturelle de Pittsburgh (États-Unis), « l’Icom référence toutes les idées intelligentes dans le monde des musées. Le code de déontologie en est le résumé et l’outil quotidien ». Pour Jean-Paul Koudougou, directeur du Musée national du Burkina à Ouagadougou, le code a même posé les bases d’une politique culturelle, puisqu’il est désormais « inscrit dans les missions officielles de tous les musées publics du Burkina ». Cet exemple met en lumière le nouveau poids politique de l’institution, qui offre des standards de travail particulièrement prisés dans les pays en développement. C’est aussi la raison pour laquelle les grands musées européens sont moins visibles au cœur de ses instances. Même si tous sont membres, ni Jean-Luc Martinez (le Louvre), ni Guy Cogeval (Orsay), ni Serge Lasvignes (Centre Pompidou) ne semblent s’être déplacés à la conférence générale de Milan. En s’internationalisant, l’organisation a aussi déplacé son centre de gravité : à la logique « nord-sud » succède désormais un fonctionnement plus multilatéral.
Lutte contre le trafic illicite
Parallèlement à cette ambition universelle, l’Icom a gagné en notoriété avec les listes rouges (voir JdA 448, janvier 2016). La lutte contre le trafic illicite des biens culturels a jeté un coup de projecteur sans précédent sur l’institution. En créant le groupe d’intervention de secours aux musées en cas de catastrophe (Disaster Relief Task Force, DRTF) après le tsunami de décembre 2004, l’Icom s’est saisi d’un enjeu majeur et s’est imposé comme un coordinateur de référence (Italie, Gaza, Sichuan, Haïti, et bien sûr, depuis 2010, surtout au Moyen-Orient). Aujourd’hui, les experts rassemblés au sein du Disaster Risk Management Committee (DRMC) travaillent quotidiennement avec l’Unesco, Interpol, l’organisation mondiale des douanes et les forces de police des pays de départ (Afghanistan, Irak…) et de revente (États-Unis, France, Italie, notamment). « Le printemps arabe a tout changé. On a voulu être à la hauteur de l’enjeu », explique France Desmarais, directrice des programmes et du développement de l’Icom et membre du DRMC. Car les musées figurent parmi les premiers acheteurs de biens culturels. D’un point de vue éthique, ils ont une responsabilité majeure vis-à-vis des régions qu’ils étudient. La politique d’acquisition ne peut plus se faire au détriment du lieu d’origine. Les musées ont aussi les outils, les compétences et la vocation d’être les lieux de connaissance de ces régions. Sans les musées, pas d’expertise, donc pas d’enquête ni de réparation. L’Icom a enfin bénéficié d’une attention politique croissante, dès lors que le trafic a été identifié comme une source possible de financement du terrorisme.
Une loi sur la traçabilité
Si 2012 a été l’occasion d’une première victoire médiatique, avec la restitution de près d’un millier d’objets au Musée de Kaboul, la réalité ressemble davantage à un travail de fourmi : chaque semaine ou presque un musée, une maison de ventes ou un collectionneur écrit à l’Icom pour signaler un objet correspondant aux typologies décrites dans les listes rouges. En Allemagne, premier pays de l’Icom en nombre de membres, les listes rouges pourraient pour la première fois intégrer un droit national : les députés y discutent d’une loi portant sur la traçabilité des biens culturels, qui pourrait bouleverser le marché des antiquités. Markus Hilgert, directeur du Musée du Proche-Orient au Musée de Pergame, à Berlin, y voit le cœur de sa mission : « La déontologie de l’Icom et la création des listes rouges ont été les raisons de mon adhésion, l’année dernière, et concentrent tous nos efforts. À ce titre, ce que l’Allemagne s’apprête à voter est historique ».
On peut voir dans la nouvelle dimension de l’Icom la suite logique de l’émergence du musée, à l’échelle mondiale, comme un lieu de vie, d’apprentissage mais aussi de développement économique. À l’heure où les agences de développement et l’ONU tirent les leçons des opérations militaires en Afghanistan et en Irak, l’Icom cherche à mettre en valeur les bonnes pratiques partout où un musée, s’implantant dans une zone de tension, a contribué, par sa vie intellectuelle et économique, à prévenir les conflits en créant du lien social. À Milan, Nkandu Luo, ministre zambienne, a ainsi vanté l’idée de musée comme outil de concorde interethnique. Certes, les exemples sont rares et l’impact difficilement mesurable. Mais c’est sur ce chemin que la nouvelle présidente de l’Icom, la Turque Suay Aksoy (lire JdA n° 462), souhaite engager l’institution. En faisant du « Capacity Building » la priorité de son action, elle souhaite inscrire l’Icom parmi les acteurs du développement international.
Cette exposition a été conçue par des étudiants en muséologie de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, sous la conduite de François Mairesse, professeur, muséologue et président du comité de muséologie de l’Icom-ICOFOM.
« Le Code de déontologie (…) fixe les normes minimales de pratiques et de performance professionnelles pour les musées et leur personnel. En adhérant à l’organisation, chaque membre de l’Icom s’engage à respecter ce code. » La phrase figure en exergue du fascicule d’une vingtaine de pages, divisé en huit chapitres et 91 articles. Le code aborde toutes les questions essentielles de la vie d’un musée : ses missions scientifiques de conservation, de recherche et d’éducation ; sa politique d’acquisition et toutes les questions éthiques liées ; son intégrité face aux intérêts commerciaux de tiers ; dans sa gestion quotidienne, les processus de nomination, le management, la légalité, etc. Markus Hilgert (Berlin) résume sa portée universelle en disant : « si tous les musées du monde suivaient ce code à la lettre, la plupart des problèmes n’existeraient pas ». Régulièrement mis à jour, il émane autant des musées d’histoire naturelle que des musées d’art. Il est disponible dans les trois langues officielles (anglais, français, espagnol) sur le site de l’Icom, mais de nombreuses traductions dans des langues plus rares sont en cours ou déjà disponibles.
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70 ans : l’apogée tardif de l’Icom
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°463 du 16 septembre 2016, avec le titre suivant : 70 ans : l’apogée tardif de l’Icom