PARIS
Depuis son ouverture, le Centre a accueilli un grand nombre d’expositions qui, rétrospectivement, sont devenues historiques. De « Paris-New York » à « Dada », une sélection des événements les plus marquants
Paris-New York
juin-septembre 1977
Commissariat : Pontus Hulten, Daniel Abadie, Alfred Pacquement, Hélène Seckel
1905-1965 : du fauvisme au premier Lion d’or de la Biennale de Venise attribué à un Américain (Robert Rauschenberg), « Paris-New York » ouvre la série des « expositions-monuments » qui reconstruisent l’histoire du siècle moderne. Consacrant le déplacement du centre de gravité d’un côté à l’autre de l’Atlantique, l’exposition repère avec minutie les points de contact entre les capitales. Elle associe toutes les réalités qui nourrirent ces échanges, au-delà d’une stricte histoire de l’art : le cinéma, l’histoire générale, le marché de l’art, les allers-retours et les amitiés des uns et des autres, réalités documentées à travers des entretiens et photographies. L’exposition devient un mode d’écriture de l’histoire à part entière. Au sommaire du catalogue figurent Pontus Hulten, Alfred Pacquement, des figures du MNAM (Musée national d’art moderne), mais aussi l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, les historiens de l’art Hubert Damisch et Harold Rosenberg…
Vienne, naissance d’un siècle, 1880-1938
février-mai 1986
Commissariat : Jean Clair, Chantal Béret, Raymond Guidot
L’« exposition-portrait d’une époque » concilie désormais ambition scientifique, pertinence culturelle et succès public. Jean Clair construit une vision forte à partir de la ville-symptôme, figure des paradoxes de la modernité telle que le XIXe l’a dessinée. L’esprit fin de siècle, servi par une scénographie très marquée par son sujet, et judicieusement théâtralisée jusqu’à la reconstitution, s’ajoute à la cohérence et à la vitalité tourmentée d’une scène viennoise intense. L’occasion de croiser en deux heures de visite Schiele et Webern, Freud et Klimt ou Schönberg et Loos n’échappa pas au public, faisant de « Vienne » l’un des plus grands succès publics du Centre.
Paris-Berlin
juillet-novembre 1978
Commissariat : Pontus Hulten, Jean-Hubert Martin et Werner Spies, Chantal Béret, Raymond Guidot et Serge Fauchereau
Programmée après « Paris-New York » et avant « Paris-Moscou » (1979) et « Paris-Paris 1937-1957 » (1981), « Paris-Berlin » prolonge l’esprit d’une histoire comparée au travers des œuvres et des faits. L’exposition, réalisée avec des équipes parallèles, françaises et allemandes, explore « l’art en Allemagne, et non l’art allemand », précise Werner Spies, entre 1900 et 1933, et restitue à travers un accrochage dense l’atmosphère de la période. Si proche mais barrée par l’histoire des nations, si forte mais dispersée par le nazisme, la modernité allemande est un miroir : les liens entre les domaines d’expression (de la peinture au cinéma, du graphisme au théâtre) et l’ancrage dans la réalité sociopolitique interrogent en retour le regard français sur sa propre modernité.
Les Immatériaux
mars-juillet 1985
Commissariat : Jean-François Lyotard, Thierry Chaput
Irruption dans l’espace de l’exposition : les technologies électroniques font disparaître l’objet dans l’œuvre et l’identité de l’artiste-auteur. Jacques Monory et Joseph Kosuth croisent l’imagerie scientifique. Le visiteur devient acteur de dispositifs techniques, au cœur d’une circulation d’informations de diverses natures, où mots, images et sons sont pris dans un principe d’échange et de mise à disposition. C’est la culture contemporaine (celle de l’ordinateur qui met à plat l’échelle même des valeurs de la culture cultivée) qui s’installe au musée. Elle est portée par les réflexions de Jean-François Lyotard qui, en philosophe entouré d’une équipe, a construit cet espace mental devenu une évidence vingt ans plus tard : les « Immatériaux » ouvrent à la révolution cognitive qui a transformé aussi le processus même de l’exposition.
L’époque, la mode, la morale, la passion, aspects de l’art d’aujourd’hui 1977-1987
mai-août 1987
Commissariat : Alfred Pacquement, Bernard Blistène, Catherine David, Christine Van Assche
L’emprunt de la formule du titre à Baudelaire ne doit pas tromper, le Centre affirme là (comme il ne se donnera plus d’occasion de le faire) sa vocation à l’égard du contemporain. Avec des partis pris, des débats, l’exposition remplit le rôle d’une biennale (disparue depuis le début de la décennie), et permet l’affirmation de figures d’artistes de premier plan mesurés à l’aune du musée. « L’époque » – le titre alors d’usage – consacre bien plus qu’elle ne révèle, c’est sûr, mais met sur le même pied un Jean-Michel Alberola et un Jeff Wall (aux deux extrémités de l’alphabet), des peintres et des installateurs, le cinéma et la pensée contemporaine. En associant programmation et accrochage, « L’époque » tente d’appliquer l’esprit de l’histoire pluridisciplinaire au contemporain– et y parvient.
Le dernier Picasso 1953-1973
février-mai 1988
Commissariat : Marie-Laure Bernadac, Isabelle Monod-Fontaine, David Sylvester
Nourrir en profondeur le regard sur les figures majeures du siècle avec un travail serré d’analyse et de réunion d’œuvres, souvent en collaborant avec de grands musées internationaux, constitue une autre raison d’être du Centre. Comme avec « Matisse 1904-1913 » (1993), « Le dernier Picasso » rend visible – mieux, palpable – l’intensité au travail sur une période concentrée. En suivant une chronologie découpée en chapitres, en mettant les œuvres en coprésence, c’est l’intelligence de l’artiste qui se trouve exposée, y compris dans ce qu’elle a de dérangeant, loin de la fabrique complaisante de chefs-d’œuvre. S’y révèle un Picasso traversé par l’urgence, sexuel, brutal même vis-à-vis de ses propres moyens, le dessin et la peinture suffoqués.
Magiciens de la Terre
mai-août 1989
Commissariat : Jean-Hubert Martin
Accueillie fraîchement tant par la critique parisienne que par l’institution elle-même, « Magiciens de la Terre » est vite devenue une exposition-référence hors de l’Hexagone. Cent artistes, pour moitié « non occidentaux » (selon un vocabulaire qui manquait sans doute d’ancrage théorique), sont montrés au Centre et à la Grande Halle de La Villette dans une continuité de parcours au-delà des différences entre les cultures. L’ambition du projet n’en méritait pas moins, posant par l’acte d’exposer des questions essentielles – universalisme ou identitarisme, valeur cultuelle/valeur culturelle, autonomie, domination, singularité, fonctions de l’art – chevillées à la situation désormais affirmée d’une production artistique mondialisée. Les expositions organisées depuis 1989 comme « Africa remix », au Centre (été 2005), et tant d’autres dans le monde n’ont pas enterré « Magiciens ».
Passages de l’image
septembre 1990-janvier 1991
Commissariat : Raymond Bellour, Catherine David, Christine Van Assche
Photographies, films, vidéos, holographies, images de synthèse, installations vidéo, projections et autres dispositifs : « Passages de l’image » touche justement les mutations en cours dans les régimes de la représentation, qui traversent l’art et la vie quotidienne. Quand Jean-Luc Godard, David Lynch, Chris Marker rencontrent Gary Hill, Nam June Paik, Michael Snow, Bill Viola, l’image n’est plus une affaire de technique ou de médium, mais un mode d’être au monde. Visage, mémoire, voix : l’exposition joue le rôle de l’écran qui montre et cache dans le même temps, son enjeu se tient au-delà de la somme des œuvres, même si son parcours demeure classiquement architecturé.
Hors limites, l’art et la vie, 1952-1994
novembre 1994-janvier 1995
Commissariat : Jean de Loisy
Tentant l’inconciliable, « Hors limites » cherche à rendre visible sans dévoiement l’invisible dynamique de l’art en action, dans l’héritage de Dada. Elle se fraye une voie qui, après guerre, entre Fluxus et Situationnisme et avec la performance, le happening, le Lettrisme, la poésie sonore et autres activismes, met l’agir et le faire au rang des œuvres de l’art. Loin du fétichisme de reliquaire, mais en prenant en charge une dimension documentaire, l’exposition ouvre le champ à l’éphémère et aux œuvres à activer, suivant à la trace une autre histoire de l’expérience de la modernité.
À la source du projet d’exposition, se trouve une notion activée par Georges Bataille qui n’est ni un concept théorique, ni une revendication artistique. Rosalind Krauss et Yves-Alain Bois s’en servent de tremplin pour tracer une orbite artistique dont la trajectoire évite tant les découpes historiques traditionnelles que la démonstration de force. Contre le musée qui classe, l’exposition use du paradoxe du déclassement pour faire apparaître le revers d’une modernité conquérante, en écoutant Bataille. Au-delà de la démarche savante, c’est une proposition marquante pour une lecture sensible de l’art qui s’offre là en guise de « mode d’emploi ».
Le Musée qui n’existait pas Daniel Buren
juin-septembre 2002
Commissariat : Bernard Blistène, Alison Gingeras, Laurent Le Bon
Dans la logique d’une œuvre imposante, contestée, précise, méthodique, la présence de Buren dans le Centre ne tient pas de la rétrospective classique mais de l’occupation d’espace et de sa prise en compte radicale, joueuse, et capable d’élégance. L’in situ impose sa trame sur celle de l’architecture du Centre, au point que le visiteur le plus familier y perde ses repères. Buren en maître du jeu domine les paradoxes du dehors-dedans par rapport à l’institution, entre remise en question et saisissante adaptation au lieu.
Dada
octobre 2005-janvier 2006
Commissariat : Laurent Le Bon
Tout Dada ou presque est réuni dans une exposition où une masse de documents et d’œuvres semblent épuiser la production d’une période clairement identifiée. Ceci sans pour autant enfermer le foisonnement dans un carcan trop rigide de causalités, puisque le parcours et l’architecture laissent sa part d’autonomie au visiteur. L’accrochage rend compte aussi de la simultanéité des diverses scènes sur lesquelles Dada s’invente. Rendre lisibles les intrications qui font l’art dans son histoire demeure une gageure, jubilatoire quand on y touche.
C’est un panthéon plus ou moins organisé que dessine la liste considérable des expositions monographiques sur trente années. La figure de l’artiste, l’autre entrée dans l’inventaire des arts, demeure centrale, bon an mal an, d’un bord à l’autre du siècle, car l’histoire n’est pas faite que d’œuvres. Parmi ceux-ci : Gerhard Richter, Marcel Duchamp, Louis Cane (1977) ; Henri Michaux, Kasimir Malevitch, Nam June Paik, (1978) ; Pierre Soulages, Pierre Molinier, Salvador Dalí (1979) ; Ellsworth Kelly (1980) ; Panamarenko, Gilbert et George, Walter de Maria, Robert Ryman (1981) ; Man Ray, Jackson Pollock, Eduardo Arroyo (1982) ; Giorgio De Chirico, Ulrich Ruckriem, Barry Flanagan (1983) ; François Rouan, Richard Serra, Balthus, Christian Boltanski, Willem de Kooning (1984) ; Wassily Kandinsky, Paul Klee (1985) ; François Morellet, Toni Grand, Gilberto Zorio, Reinhard Mucha (1986) ; Richard Baquié, Julian Schnabel, Claes Oldenburg, Lucio Fontana, Lucian Freud (1987) ; Cy Twombly, Frank Stella, Erik Boulatov, Gérard Garouste, Jean Tinguely (1988) ; Hans Haacke, Richard Artschwager, Bram Van Velde, Ed Ruscha (1989) ; Daniel Spoerri, Filonov, Raymond Hains (1990) ; William Wegman, Bertrand Lavier, Michael Ascher, Robert Filliou, Niele Toroni (1991) ; Charlotte Salomon, Peter Fischli et David Weiss, Gary Hill (1992) ; Malcolm Morley, Martin Kippenberger, Henri Matisse (1993) ; Stan Douglas, Erik Dietman, Mona Hatoum, Joseph Beuys (1994) ; Ilya Kabakov, Robert Morris, Jean-Michel Sanejouand, Douglas Gordon, Jean Widmer, Constantin Brancusi, Louise Bourgeois (1995) ; Tony Cragg, Francis Bacon, Martin Szekely, Charles & Ray Eames (1996) ; Jean-Jacques Rullier, Fernand Léger (1997) ; Mike Kelley, Tony Oursler, Pierre Huyghe, Philip Guston, Rosemarie Trockel (2000) ; Raymond Hains, Jean Dubuffet, Jean Nouvel (2001) ; Pierrette Bloch, Andreas Gursky, Max Beckmann (2002) ; Otto Dix, Nicolas de Staël, Ugo Rondinone, Ettore Sottsass, Philippe Starck (2003) ; Cy Twombly, Giuseppe Penone, Aurelie Nemours, Jean Nouvel, Sophie Calle (2004) ; Bernd et Hilla Becher, Xavier Veilhan, Isaac Julien, Jean Hélion, Robert Mallet- Stevens (2005) ; Charlotte Perriand, Hans Bellmer, Robert Rauschenberg, Yves Klein (2006).
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Abonnez-vous dès 1 €Partageant les espaces d’exposition et le temps de programmation, le Musée national d’art moderne (MNAM) et le Centre de création industrielle (CCI) ont vécu tantôt sur le mode de la concurrence, tantôt sur celui de la collaboration, jusqu’à leur fusion en 1992. Mais pour le public, les expositions d’architecture et de design sont celle du Centre, contribuant à l’identité de l’institution. « La Ville – Art et architecture 1870-1993 » (février-mai 1994, commissariat : Jean Dethier et Alain Guiheux) associe les visions des artistes et des architectes sur l’urbanité moderne. Mais c’est peut-être avec « L’art de l’ingénieur : constructeur, entrepreneur, inventeur » (juin-septembre 1997, commissariat : Raymond Guidot, Alain Guiheux) que le regard du Centre assume le mieux un art et une historicité propres de la technique. Au monde construit répond bientôt l’histoire domestique avec « Les bons génies de la vie domestique » (octobre 2000-janvier 2001, commissariat : Raymond Guidot et Marie-Laure Jousset), qui rappelle que la vie ménagère est aussi objet de culture, et de la plus quotidienne, qu’elle n’est pas en dehors de l’histoire. Il se pourrait d’ailleurs que le design et l’architecture apportent finalement plus que l’art lui-même à la question même de l’exposition.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°247 du 17 novembre 2006, avec le titre suivant : 30 années de programmation