Jai toujours voulu disparaître dans mon travail : cacher la trace de ma main, au lieu de faire comme tous ces peintres expressionnistes qui ont une si haute idée de leur moi qu’ils l’étalent sur leurs toiles à longueur de temps. Bien sûr, moi aussi, ça m’a intéressé, cette histoire-là : s’exprimer, c’est la grande affaire, surtout quand on est un jeune artiste. Mais tout cela était trop sérieux, totalement dénué d’humour. L’art est une si grande chose qu’on ne peut l’aborder frontalement. Il faut savoir ruser, trouver des biais, avancer par des chemins obliques. Aujourd’hui, mon fils m’a ouvert une voie nouvelle, et je crois qu’elle va se révéler fructueuse. Il m’a montré l’un de ses albums de Mickey, où Donald, pêchant sur un ponton, annonce fièrement à Mickey une grosse prise alors que son hameçon est accroché à sa propre queue et il m’a dit, avec un air de défi : « Je parie que tu n’es pas capable de peindre aussi bien que ça hein, papa ? » ll a raison, ce gosse, quoi de plus efficace que cette image ? C’est tellement simple. Enfin, du moins, cela a l’air si simple… Je me suis mis tout de suite au travail avec une seule idée en tête : faire encore plus simple, si possible. J’ai commencé par faire un dessin, où je n’ai retenu que les grandes lignes de la planche du comic book : Donald et Mickey, un bout du ponton, mais ni le paysage ni les personnages que l’on voyait au fond, et que je trouvais trop anecdotiques, trop pittoresques. C’était curieux ce dessin, un peu comme si j’avais travaillé à l’envers, partant de l’œuvre finie pour retourner vers l’esquisse. En tout cas c’était épuré, et c’est ça que je voulais. Ensuite, j’ai reporté mon dessin sur une toile de grand format, un rectangle étiré en largeur. Ça m’a semblé bien laborieux, ce moment-là. Il va falloir que je trouve un moyen plus simple, peut-être en photographiant le dessin et en le projetant ensuite sur la toile. Le plus compliqué, ça a été la couleur. Le dessin, c’est bien, c’est sec, mais dès qu’on touche à l’huile, ça devient lourd, et tellement sentimental. Peut-être que je devrais passer à l’acrylique. J’en ai trouvé une, qui s’appelle Magna, qui a l’air de s’enlever très facilement avec de l’essence de térébenthine. J’essaierai ça la prochaine fois. Ce qui m’a sauvé, aujourd’hui, c’est d’avoir pensé à Mondrian : bleu, jaune, rouge, en aplats, quoi de plus simple ? Alors j’ai fait pareil, juste les trois couleurs primaires, et puis, pour que cela ait l’air plus mécanique, comme si c’était une reproduction, avec un pochoir j’ai mis sur les yeux de Donald et sur le visage de Mickey des points de trame comme on en trouve dans les BD imprimées en offset. Pour finir, j’ai dessiné une bulle au-dessus de la tête de Donald et j’y ai mis un bout du texte qui, dans la BD, se trouvait sous le dessin. On aurait juré que je n’avais rien fait, à part copier. J’étais content de ça. Et puis, Allan Kaprow est passé à l’atelier, comme il le fait souvent, et il m’a vivement encouragé à continuer. Il m’a dit qu’en m’inspirant des comics, ces clichés modernes, je parvenais à calquer la peinture sur la vie. Devenir un calque, belle manière de disparaître ! Ce soir, j’ai montré la toile à mon plus redoutable critique : mon fils. Il a ri. Je ne pouvais pas rêver plus beau compliment.
« Roy Lichtenstein », Centre Pompidou, Paris-4e, jusqu’au 4 novembre 2013, www.centre pompidou.fr
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Roy Lichtenstein a peint Look Mickey!
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°661 du 1 octobre 2013, avec le titre suivant : Roy Lichtenstein a peint Look Mickey!